Actualités au CdB (archives)

Les deux visage de Napoléon

Il y a 200 ans mourait Napoléon Bonaparte. À Berne, seule la Bibliothèque Am Guisanplatz marque discrètement l’événement en proposant une liste actuelle de publications sur ce personnage historique controversé. Rien d’étonnant à cela : alors que Napoléon 1er est considéré comme un libérateur dans les cantons fondés en 1803, il garde pour Berne l’image de l’occupant impérialiste.

Avant de développer les relations qu’entretenait Napoléon Bonaparte avec Berne, il convient de dissiper une croyance populaire très répandue : Napoléon Bonaparte n’a pas attaqué et occupé la Suisse en 1798. « Il n’a même jamais mis les pieds à Berne », précise Alain-Jacques Tornare, historien et archiviste à la ville de Fribourg. À cette époque, général dans les armées françaises sous le Directoire, régime politique issue de la Révolution de 1789, il était occupé à préparer la campagne d’Égypte. « Les armées françaises qui envahirent la Suisse de janvier à mai 1798 étaient sous le commandement des généraux Brune, Schauenburg et Ménard », corrige à son tour André Holenstein, historien et professeur ordinaire en histoire suisse à l’Université de Berne.

De la Révolution française à la Révolution vaudoise

Ceci étant établi, revenons au comment tout cela a commencé. Lorsque la Révolution française éclate en 1789, personne à Berne n’imagine les répercussions de cet événement sur la Confédération des 13 cantons. La Ville-État voit d’un mauvais œil ce qui se passe en France. « Les Bernois en ont toujours voulu aux Français depuis la révocation de l’Édit de Nantes (1685) », raconte Alain-Jacques Tornare. Tout l’inverse du Pays de Vaud, alors sous une occupation bernoise dont il espèrait se libérer depuis longtemps.

Exilé à Paris, le noble vaudois Frédéric-César de La Harpe demande en 1797 au gouvernement français une intervention contre le régime de Berne. Le 18 novembre de la même année, le Directoire accède à sa demande et accorde le 28 décembre la protection officielle de la France. Tout va très vite ensuite : le 12 janvier 1798, un commando de Vevey prend d’assaut le Château de Chillon, symbole du pouvoir bernois, et l’indépendance vaudoise est proclamée à Lausanne le 24 janvier. Berne envoie une troupe de 5000 soldats pour reprendre le contrôle du Pays de Vaud. C’est le prétexte qu’attendait la France, qui cherche à s’assurer une route vers l’Italie par les Alpes. Le Directoire déclare la guerre à Berne, envahit le Pays de Vaud, et marche sur la cité des ours. « Paris voulait briser Berne, car elle était une puissance protestante hostile à la Révolution. Rabaisser Berne était en fait un vieux rêve français », détaille Alain-Jacques Tornare.

L’humiliation de Berne

Le 4 mars 1798, Berne capitule, et les armées révolutionnaires entrent dans la ville. À ce moment-là, le canton de Berne est le plus puissant et le plus riche de toute la Suisse. Deux jours après l'invasion du chef-lieu, les Français confisquent l'immense trésor de Berne et en emportent une partie à Paris. Il servira, entre autres, à financer la campagne d’Égypte de Napoléon Bonaparte. « Une légende raconte que le trésor de Berne aurait coulé au large d’Aboukir lors de la bataille navale qui opposa les flottes française et britannique », relève pour l’anecdote Alain-Jacques Tornare. D’après les calculs de Christoph Schaltegger, professeur en économie politique à l’Université de Lucerne, ce trésor vaudrait aujourd’hui plus de 600 milliards de francs s’il était resté aux mains des patriciens bernois.

Mais l’humiliation de Berne ne s’arrête pas là. En plus d’héberger et de nourrir à leurs frais les soldats français, les patriciens bernois doivent payer des taxes à l’occupant, en guise de punition à leur hostilité. Sacrilège suprême, les Français s’emparent des trois ours adultes de la Fosse aux ours, symboles de la ville, et les emmènent à Paris. Ils laissent derrière eux un ourson qui, privé de sa mère, mourra peu après et sera empaillé. Souvenir de la chute de la Ville-État, on peut l’admirer aujourd’hui au Musée d’histoire de Berne.

La fin de l’ancien monde

La défaite de Berne sonne le glas de l’Ancien Régime. En avril 1798, le Directoire met en place la République helvétique, dont la capitale tournante est dans un premier temps Aarau. Ce régime centralisé, basé sur le modèle français, repose sur l’égalité des droits et la séparation des pouvoirs. « Avant 1798, la Suisse n’était pas un État de droit », souligne Alain-Jacques Tornare. L’égalité civile est établie, abolissant les différences entre les citoyens patriciens et les citoyens ordinaires ainsi que l’assujettissement des pays. Le Pays de Vaud et l’Argovie sont donc libérés du joug bernois. « Comme le canton de Berne a combattu le plus violemment les Français, il a été sévèrement limité dans son expansion lors de la réorganisation territoriale de la Suisse. Il a perdu non seulement Vaud et l'Argovie, mais aussi l'Oberland bernois, qui devient un canton indépendant avec pour capitale Thoune », précise André Holenstein. « Cependant, les cantons de la République helvétique n'étaient pas des États souverains, mais des circonscriptions purement administratives - comparables aux départements français », poursuit l’historien bernois.

En 1799, Napoléon Bonaparte s’empare du pouvoir en France à la faveur du coup d’État du 18 Brumaire. C’est la fin du Directoire et le début du Consulat. Devenu Premier consul, Bonaparte reste un fervent défenseur de l’indépendance vaudoise. Quand, lors de sa première audience à Paris en 1801, le premier landamann de la République helvétique, le Schwytzois Alois Reding, se hasarde à évoquer un éventuel retour du Pays de Vaud à Berne, Napoléon Bonaparte aura cette réplique devenue célèbre : « Le soleil retournera du couchant au levant plutôt que Vaud à Berne. »

Aux origines de la Suisse moderne

Dans le même temps, la République helvétique devient rapidement ingouvernable. Le Parlement est déchiré entre fédéralistes et républicains. Compte tenu les différences linguistiques, culturelles et religieuses, un état centralisé calqué sur le modèle français n’a aucune chance de perdurer en Suisse. Napoléon Bonaparte laisse toutefois la situation s’enliser : il a d’autres chats à fouetter. Lorsqu’il retire les troupes françaises de Suisse en 1802, le pays sombre dans la guerre civile. Finalement, les Suisses eux-mêmes doivent se résoudre à demander l’aide de Bonaparte. Ce dernier accepte de devenir médiateur. Napoléon Bonaparte rédige alors une nouvelle Constitution pour le pays ainsi qu’un nouveau découpage des frontières cantonales : c’est l’Acte de médiation. En 1803, le nouveau texte fixe la Confédération à 19 cantons, dont six nouveaux : Saint-Gall, Grisons, Argovie, Thurgovie, Tessin et Vaud. Il rétablit également les cantons en tant qu'États souverains. Autre progrès majeur: le français, l'allemand et l'italien sont reconnus comme langues officielles. «Le fait qu’on puisse parler français à la Diète fédérale est une véritable révolution!, s’enthousiasme Alain-Jacques Tornare. « Quand on pense à Napoléon, on pense surtout au guerrier, mais on oublie qu’il était un grand législateur », ajoute-t-il.

L’héritage de Napoléon

À l'exception du Jura, les frontières des cantons sont encore aujourd’hui pratiquement telles que Napoléon Bonaparte les a tracées sur la carte de la Suisse en 1803. « L’importance de Napoléon 1er –  non seulement pour l'histoire de Berne, mais pour l'histoire de la Suisse en général – réside dans le fait qu'en 1803, il a transformé les cantons en États souverains et a ainsi non seulement empêché le retour à l'Ancien Régime, mais a également ancré le fédéralisme en tant que principe d'État dans le droit constitutionnel et le système politique suisses. Vu sous cet angle, Napoléon peut certainement être décrit comme une figure fondatrice de la Suisse moderne », résume André Holenstein.

En 1815, le Congrès de Vienne dédommagera Berne des pertes territoriales subies lors de l’occupation française en lui attribuant une grande partie de l'ancienne Principauté de Bâle. « À cet égard, on pourrait reprocher à Napoléon - indirectement - d'avoir porté le conflit jurassien du XIXe siècle à nos jours dans le canton de Berne », conclut l’historien bernois.

Dossier préparé par Christine Werlé, septembre 2021

Résultats du sondage 2021 sur le CdB

Parole à Solange Ghernaouti

La pandémie, en accélérant la transition numérique, a favorisé la cybercriminalité. Si le télétravail contribue à nous protéger du Covid-19, il a en revanche rendu les entreprises plus vulnérables aux attaques informatiques. Un nouveau phénomène qu’analyse Solange Ghernaouti, professeure à l’Université de Lausanne (UNIL) et experte internationale en cybersécurité et cyberdéfense, invitée l’automne dernier par l’Alliance française de Berne.

 « AUJOURD’HUI ENCORE, EN MATIÈRE DE CYBERSÉCURITÉ, NOUS AGISSONS EN POMPIERS, NOUS RÉAGISSONS TOUJOURS DANS L’URGENCE »

 Depuis le début de la pandémie, a-t-on constaté une recrudescence des cyberattaques et de la cybercriminalité ?
Il a été effectivement constaté depuis le début de la pandémie une recrudescence des cyberattaques. Elles ciblent non seulement les entreprises et agences gouvernementales, mais aussi par exemple, l’OMS, des sites hospitaliers et des institutions de santé ou encore des centres de recherche. Par ailleurs, durant les périodes de confinement, les activités liées à l’exploitation sexuelle des enfants en ligne ont augmenté. La commercialisation de contenus d’abus sexuels de bébés et d’enfants a largement été observée par Interpol et Europol. Avec la cyberpédophilie, les crimes ne sont pas virtuels, seule leur représentation est dématérialisée et ce sont bien de vraies victimes dont la vie est détruite. Le contexte de la pandémie a également profité à ceux qui manipulent l’information sur les réseaux sociaux en propageant des rumeurs, de fausses informations, des contre-vérités en lien avec le Covid-19. De véritables campagnes de désinformation et de manipulation de l’opinion ont pu également prospérer au travers d’Internet.

Le télétravail nous rend-il plus vulnérables aux attaques des pirates informatiques ? Pour quelles raisons ?
Le télétravail, recommandé pour contribuer à lutter contre la pandémie, n’a fait qu’augmenter l’attractivité des systèmes, des flux échangés et le nombre de cibles potentielles pour des criminels. La cybersécurité se construit sur le long terme, en amont de la survenue des problèmes, or le travail à domicile a été mis en place dans l’urgence, sans forcément prioriser et apporter des réponses convaincantes aux besoins de cybersécurité requis au regard des risques encourus. Les PME, mais pas seulement, sont alors devenues encore plus exposées et vulnérables lors de la crise sanitaire. Les entreprises qui autorisaient déjà le télétravail ou qui étaient habituées au travail à distance sont en principe mieux préparées aux cyberrisques que les entreprises qui ont dû passer au télétravail dans la précipitation.

Quel est l'impact financier de ces cyberattaques sur les entreprises ?
Le coût de la cybercriminalité est porté par la société et représente environ 1% du produit intérieur brut des pays.

La pandémie a entraîné l'émergence d'applications de traçage et de logiciels de visioconférence. Ces nouveaux outils constituent-ils un risque pour la protection de nos données ?
Tout objet et système connecté à Internet sont piratables et peuvent devenir une cible pour la cybercriminalité ou être détourné et engendrer des usages abusifs. Les applications de traçage des contacts comme SwissCovid posent plusieurs problèmes de sécurité. Ainsi, la technologie Bluetooth utilisée comporte des vulnérabilités et des failles de sécurité qui peuvent être exploitées et qui portent atteinte à la protection des données et à l’anonymat des usagers. Il a été démontré qu’il était possible de réaliser les actions suivantes : captation, interception par un tiers non autorisé des messages transmis sur l’interface Bluetooth ; insertion, suppression de messages par un tiers ; observation des signaux (écoute, espionnage); interruption de la connectivité (déni de service); prise de contrôle à distance.
De plus, il est difficile de bâtir la confiance envers le dispositif dans la mesure où ce sont des multinationales Apple-Google qui en contrôlent le fonctionnement. Il est impossible de le faire tester ou auditer par des entités indépendantes et il est de notoriété que ces entreprises commerciales ont bâti leur hégémonie et leur puissance commerciale sur l’exploitation des données.
En matière de cybersécurité, l’ouverture des systèmes, la connectivité permanente et la facilité d’usage d’outils grand public et souvent gratuits ne riment pas avec une sécurité de qualité. Il est avéré que les logiciels gratuits comme ceux utilisés pour réaliser des visioconférences non seulement n’offrent pas un niveau raisonnable de sécurité, mais exploitent les données livrées par les utilisateurs ainsi que celles collectées à leur insu. Toutes les données possèdent une vie cachée hors du contrôle de leur propriétaire. Le problème est encore plus grave lorsqu’il s’agit de données de santé.
De manière générale, l’anonymat complet (réel, effectif) est impossible. Au-delà de ces problèmes techniques, des applications de traçage et de suivi des déplacements et contacts des personnes posent le problème plus général de l’acceptation de la surveillance informatique généralisée. Qu’elle soit motivée ou non par une urgence sanitaire, un débat démocratique s’impose.
Pour ma part, je défends le droit de vivre sans être sous surveillance informatique, le droit à la déconnexion, le droit de ne pas dépendre d’algorithmes d’intelligence artificielle. Il appartient aux consommateurs d’être exigeants, d’exprimer leurs besoins, y compris envers les entités commerciales et publiques afin que celles-ci respectent le droit à la vie privée, à l’intimité (privacy) et à la protection des données personnelles. Ces moments de trouble détournent l’attention et la vigilance des populations, et peuvent être exploités par des acteurs qui souhaitent voir autoriser ou déployer des solutions qui empiètent fortement sur les libertés (surveillance à travers les mobiles, détournement de finalité de données, usage de drones, etc.). Ce n’est pas parce que de nombreuses personnes s’exposent à travers des réseaux dits sociaux et ont échangé leur vie privée contre une illusion de liberté et une vie numérique, dont les normes comportementales sont imposées par des fournisseurs de services, que tout le monde doit se résigner à la fin de sa vie privée. Nous ne sommes pas obligés de nous laisser déposséder de ce que nous sommes, de ce que nous faisons, de l’endroit où nous sommes, de l’endroit où nous allons, de ce que nous voyons, de ce que nous pensons et aimons, des contacts fortuits ou voulus que nous entretenons !

Quelles mesures d'hygiène numériques pouvons-nous prendre à notre niveau afin de protéger au mieux nos données et de nous protéger contre les virus informatiques ?
Pour se protéger en cas pandémie, il y a le confinement, le port du masque, l’adoption des comportements et des mesures d’hygiène. Il devrait en être de même pour lutter contre la propagation de virus informatiques, de programmes malveillants, de rançongiciels et des cyberattaques. Il est avant tout nécessaire de disposer d’une politique de sécurité, de mesures d’hygiène et de sécurité informatiques efficaces, de campagnes de sensibilisation et de pratiques cohérentes du numérique. Encore aujourd’hui, en matière de cybersécurité, nous agissons en pompiers, nous réagissons toujours dans l’urgence après une cyberattaque, un incident ou un sinistre informatique. Être réactif, c’est bien, mais pas suffisant au regard des conséquences désastreuses que peuvent entraîner des cyberattaques. Il est impératif de pouvoir être plus proactif et de tout mettre en œuvre pour prévenir la concrétisation de menaces.

La Confédération crée 20 nouveaux postes pour lutter contre la cybercriminalité et va mettre sur pied un Centre national de la cybersécurité. L'avenir de notre société, de son économie sera-t-il numérique ?
La pandémie agit comme un accélérateur de la transition numérique déjà orchestrée et une justification de plus conduisant à la dématérialisant des activités. Cela se traduit par une perte de contrôle de celles-ci, souvent accompagnée par une perte de sens pour les protagonistes au profit des intermédiaires et fournisseurs technologiques. De manière concomitante, cela contribue à développer les applications d’analyse massive des données, le marché de l’intelligence artificielle, le controlling informatique généralisé et l’économie de la surveillance en instaurant un nouvel ordre et une nouvelle organisation de la société. Toutefois, en optant pour toujours plus d’informatisation et de cyberdépendance avec des services et des infrastructures numériques vulnérables aux cyberattaques, l’économie et la société deviennent plus fragilisées. Pouvons-nous, aujourd’hui et demain, faire face à des cyberattaques de grande ampleur et intensité sur les infrastructures vitales au bon fonctionnement du pays et sur les chaînes d’approvisionnement ? Faire de la gestion de crise consiste à assurer en amont de la crise de disposer d’une organisation, des compétences et des ressources nécessaires pour y remédier. Ce qui se traduit dans un monde hyperconnecté et interdépendant à devoir être suffisamment autonome, indépendant et souverain.

Propos recueillis par Christine Werlé, janvier 2021

Au service des relations franco-suisses

C’est en 2019 que Frédéric Journès a été nommé ambassadeur de France en Suisse, son premier poste à cette prestigieuse fonction. Ce natif de Paris et originaire de la région Rhône-Alpes a débuté sa arrière diplomatique dans le domaine des affaires politicomilitaires, ce qui l'a fait passer par New York, la Grèce puis l'Afghanistan avant d’arriver sur les bords de l’Aar. En arrivant pour la première fois de Bâle par le train, il a été subjugué par le magnifique panorama sur la ville et les Alpes bernoises. Rencontre et échanges passionnants et passionnés sur la terrasse de la Dampfzentrale.

Être Ambassadeur en Suisse lors d’une crise telle que celle que l’on vit depuis le mois de mars dernier doit très certainement être une expérience particulière.

Je ne m’imaginais pas du tout être confronté à pareille situation. Mais, avec les deux Consuls généraux de France en poste à Genève et à Zurich, nous avons pu profiter de nos expériences de situations extrêmement compliquées, ce qui nous a donné les bons réflexes pour gérer la situation au mieux. La grande différence a été que lorsque l’on vit une crise dans un pays, la France n’est généralement pas touchée par celle-ci, alors que cette fois-ci, on s’est retrouvé à tous devoir tout gérer dans l’urgence. À ce moment-là, on se sent un peu comme sur l’un de ces canots gonflables qui voguent sur l’Aar (rires).

Vous avez été vu et entendu plusieurs fois sur les médias romands non seulement pendant la crise mais également lors des élections fédérales d’automne 2019. Le rôle d’un ambassadeur est-il, selon vous, d’être plutôt présent dans les médias ou plutôt discret ?

S’exprimer devant les médias est quelque chose dont je n’ai pas l’habitude car dans mes métiers précédents, je ne communiquais pas. J’essaie de voir quel volume de communication ma fonction exige car un ambassadeur n’est pas censé donner son avis sur tout. Mais si vous voulez expliquer que la relation entre la Suisse et la France est bonne, il faut en parler avec les gens qui ont l’attention du public. C’est le seul moyen d’accéder à l’opinion publique. J’observe que les médias suisses ont une attitude professionnelle et pas malveillante. On le remarque dans le fait qu’ils ne vont pas déformer vos propos pour vous faire dire ce que vous n’avez pas dit.

Selon vous, Berne est-elle une ville bilingue ?

La ville est germanophone mais il y a chez les Bernois une vraie attention à faire un effort lorsque vous exprimez en français. Ils sont capables de vous comprendre et de se faire comprendre. C’est sans doute dû au fait que le canton de Berne est bilingue et que la Suisse est un pays francophone et donc que certaines institutions fédérales en place à Berne, comme le DFAE, portent une attention particulière au français et à la culture francophone.

Quels sont les lieux en ville de Berne que vous appréciez le plus?

La chose incroyable dans cette ville, c’est d’avoir une vraie variété de lieux et de choses à voir atteignables en à peine dix minutes de marche. Lorsque des amis me rendent visite, je les emmène au bord de l’Aar par le parc aux ours puis ensuite dans le quartier du Nydegg en passant par le Untertorbrücke. On a alors l’impression de se retrouver dans un village médiéval de l’Ariège. Et en hiver, l’offre culturelle, notamment pour des spectacles de danse ici à la Dampfzentrale, est fort intéressante : il n’y a pas besoin de s’y prendre six mois à l’avance pour trouver des places, comme c’est le cas si vous désirez aller voir un spectacle au Théâtre de la Ville à Paris.

En arrivant à Berne, quelle particularité de la ville vous a-t-elle le plus frappé ?

Je la trouve très belle. Ce qu’il y a de merveilleux ici, c’est que vous bénéficiez d’une qualité de vie sans être dans une ville-attraction et qui ne s’est pas standardisée, comme à l’inverse des autres grandes villes dans lesquelles j’ai vécu. Vous regardez autour de vous et vous voyez des Bernois qui vivent dans leur ville qui est restée ce qu’elle est, authentique.

Les bons tuyaux du paradis bernois selon Frédéric Journès :

  • Le restaurant brasserie Bay, dont la terrasse au-dessus de l’Aar est fort agréable
  • La Dampfzentrale (restaurant et salle de spectacle)
  • La brocante dans la salle de spectacle The Stage, à Liebefeld
  • Se munir d’un abonnement demi-tarif et partir les week-ends en train à la découverte de l’Oberland bernois et du reste de la Suisse

 

Impressions récoltées par Nicolas Steinmann, août 2020

Berne, ville fantôme

Article rédigé par Christine Werlé, 6 avril 2020

Des rues désertes, des magasins fermés, le temps qui ralentit… le scénario catastrophe d’un film d’horreur est devenu réalité en l’espace d’une semaine à Berne et ailleurs en Suisse. Ce ne sont cependant pas des zombies qui rôdent en ville, mais bien un ennemi invisible: le coronavirus. Une épidémie qui a radicalement changé notre mode de vie.

On se souviendra longtemps de ce 16 mars 2020, jour où l’état de «situation extraordinaire» a été décrété dans toute la Suisse par le Conseil fédéral afin de freiner la propagation du coronavirus. Tous les magasins, marchés, restaurants, bars, salons de coiffure, centres esthétiques, musées, bibliothèques, cinémas, salles de concert, théâtres, centres sportifs, piscines, domaines skiables resteront fermés jusqu’au 19 avril. Toutes manifestations publiques ou privées ont été interdites. Les rues de Berne, d’ordinaire si grouillantes de vie, se sont brutalement vidées de leurs passants et commerçants.

La crise a en effet impacté directement nos déplacements dans la ville puisqu’en plus des lieux cités plus haut, cinq parcs bernois ont été fermés au public. Le premier a été celui de la plateforme de la Collégiale. Le Conseil municipal a décidé de cette mesure en raison de la présence de grands groupes de personnes qui ont pour habitude de s’y réunir souvent dans un espace confiné. Ont suivi la Grosse et la Kleine Schanze, le Rosengarten et la terrasse du Palais fédéral. Leur accès a été interdit car, pendant la nuit, dans ces parcs, la distance de sécurité entre les personnes (c’est-à-dire 2 mètres) n’était pas respectée.

Garder ses distances

C’est que, partout, on nous appelle à garder nos distances les uns avec les autres, à éviter les rassemblements de plus de cinq personnes et à respecter les mesures d’hygiène. Et gare aux contrevenants!

La police a renforcé sa présence en ville de Berne afin de souligner la gravité de la situation et de faire respecter les mesures prises par les autorités. «Les exploitants des magasins et des restaurants ainsi que les personnes qui ne respectent pas les règles édictées par la Confédération, par exemple l’interdiction des rassemblements de plus de cinq personnes, doivent s’attendre à recevoir une amende», indique Walter Langenegger, chef du service Information de la Ville de Berne. La bûche peut se monter à plusieurs centaines de francs.

En quarantaine

Une frange de la population se retrouve en confinement total: les personnes âgées. Les seniors de plus de 65 ans qui vivent à domicile doivent rester chez eux. Et ceux qui se trouvent en EMS ne peuvent plus recevoir de visites. De même que les handicapés dans les foyers et les malades.

La situation est un peu meilleure pour les enfants. Car si toutes les écoles du canton ont été fermées, elles assurent cependant les cours par un enseignement à distance. La prise en charge des plus petits est aussi malgré tout assurée par les crèches et les garderies, qui, elles, restent ouvertes.

Consommer autrement

Les entreprises ont été appelées à privilégier le télétravail. Dans le souci d’éviter à leurs employés les déplacements et les contacts sociaux inutiles. Car on ne peut plus se déplacer que pour aller chez le médecin ou à la pharmacie, pour aider un proche ou pour aller acheter de la nourriture.

Ces règles ont radicalement changé nos comportements de consommation. Dans les magasins d’alimentation, on entre au compte-gouttes, car la clientèle doit disposer d’un espace de 4 mètres carrés par personne. A l’entrée, on doit se désinfecter les mains. Les sections qui vendent des articles autres que ceux destinés à l’usage quotidien sont fermées.

Récession attendue

L’économie bernoise va de toute évidence profondément souffrir de la crise du coronavirus. «Ce sont des centaines de milliers d’emplois précieux et des dizaines de milliers d’entreprises dont le sort est menacé par la pandémie dans le canton de Berne et en Suisse. Cela est d’ailleurs illustré par l’explosion des demandes de chômage partiel», déplore le président du gouvernement bernois et directeur de l’économie Christoph Ammann. Pour soulager financièrement ses institutions de santé, ses PME et ses travailleurs indépendants, le canton a adopté une ordonnance qui lui permet par exemple d’octroyer des prêts sans intérêts, d’accorder un sursis de paiement aux loyers ou de suspendre les délais de paiement des créances en matière d’impôts, d’émoluments et de taxes jusqu’au 30 juin. Par ailleurs, les organisations d’utilité publique dans la culture et le sport bénéficieront à titre exceptionnel d’un montant total de 25 millions de francs prélevé sur le Fonds de loterie.

«La Ville de Berne a peu de moyens pour soutenir l’économie, c’est pourquoi nous nous en remettons à la Confédération et au canton», explique Walter Langenegger. L’Exécutif va toutefois agir à son niveau, par de petites actions. «Nous allons alléger la bureaucratie pour les entreprises, assouplir temporairement les directives dans l’attribution des marchés publics, et payer les factures commerciales le plus rapidement possible», détaille le porte-parole. «Nous étudions également les autres domaines dans lesquels nous pourrions faire preuve de flexibilité.»

A ces mesures cantonales et locales s’ajoutent celles de la Confédération, décidées le 20 mars pour soutenir l’économie suisse dans sa totalité. Un plan de 40 milliards de francs a été débloqué pour aider les entreprises. Celui-ci comprend, entre autres, la facilitation d’octroi de prêts bancaires en cas de problèmes de liquidités et l’élargissement du droit à des indemnités en cas de réduction de travail.

Le pic de l’épidémie pas encore atteint

Sur le front médical, quelque 418 cas (chiffres fin mars) de coronavirus ont été signalés jusqu’à présent dans le canton de Berne, et trois décès. Mais à l’heure où ces lignes sont écrites, le pic de l’épidémie n’est pas encore atteint. «Nous ne sommes qu’au début de la vague. Le pic devrait être atteint à tout moment entre le 23 mars et le 8 avril», indique Gundekar J. Giebel, chef de la communication à la Direction de la santé du canton de Berne. «Par déduction mathématique, le nombre de cas sera alors multiplié par 8», ajoute le porte-parole.

Peu de malades se trouvent actuellement aux soins intensifs à l’Hôpital de l’Île à Berne. « Mais l’Inselspital est prêt à accueillir beaucoup de patients dans les semaines à venir», précise Gundekar J. Giebel.

Dix bonnes raisons d’habiter à Berne - Jean-Michel Meyer

C’est à Strasbourg que Jean-Michel Meyer est né et a passé son enfance avant de partir à Grenoble puis à l’École de l’air de Salon-de-Provence pour embrasser une carrière militaire en qualité de pilote de chasse. C’est en 2014 qu’il est nommé attaché de défense à l’Ambassade de France à Berne. Et, à ses dires, comme il y fait bon vivre, Jean-Michel Meyer a pris après 34 années passées dans l’Armée de l’Air française le poste de directeur du Bureau de Berne de Rafale International chez Dassault Aviation. À ses dires, il n’a pas eu besoin de menacer sa femme Claudine pour rester sur les flancs du Bantiger car le couple apprécie les conditions de vie d’ici et s’est très bien intégré dans la communauté francophone bernoise.

Est-ce que l’Alsace a plus d’accointances avec la Suisse qu’avec d’autres régions de France ?

Du point de vue linguistique, bien que l’alsacien soit une langue germanophone, il y a des différences d’avec le suisse allemand. Et même en Alsace on ne parle pas le même dialecte à Mulhouse qu’à Strasbourg. Mais au-delà de la langue, il y a quand même une culture commune aux régions rhénanes que sont l’Alsace et la Suisse alémanique, voire même le Baden Würtenberg. D’une manière générale, un Strasbourgeois a beaucoup plus de racines communes avec un Bernois plutôt qu’avec un Marseillais et de ce fait, il y a moins de différence de mentalité entre l’Alsace et la Suisse. J’ai d’ailleurs pu observer que si l’on se présente en Suisse comme étant Alsacien, on est plus facilement accueilli que si l’on dit qu’on est Français.

Quels sont les points communs entre la mentalité strasbourgeoise et la mentalité bernoise?

Il y a une certaine notion de qualité de travail, le respect de la discipline et de l’ordre qui sont des valeurs importantes pour les Alsaciens et de ce fait similaires à celles que l’on trouve ici en Suisse.

Vue du ciel, la Suisse est-elle plus belle que vu du plancher des vaches?

Tout comme beaucoup de régions de France, la Suisse est belle d’en haut comme d’en bas. Il faut souligner que nous adorons les montagnes, ce qui fait que nous sommes vraiment gâtés d’habiter à Berne et d’être ainsi proches des Alpes. Que cela soit pour le ski en hiver ou la randonnée en été, ce pays nous offre de magnifiques paysages et qui sont préservés car, il faut le noter, la Suisse attache beaucoup d’importance à la protection de son environnement.

A part le Rosengarten, où vous m’avez donné rendez-vous pour cet entretien, quels sont les lieux qui vous plaisent à Berne?

C’est vrai que le coup d’œil que l’on a d’ici sur cette vieille ville de Berne, inscrite au Patrimoine de l’UNESCO, est vraiment magnifique mais j’aime aussi déambuler dans les ruelles aux abords de la Gerechtigkeitstrasse et de la Marktgasse car toutes ces rues piétonnes du cœur de Berne sont vraiment jolies et bien préservées. On retrouve même un peu le charme de Strasbourg, comme par exemple du côté de la cathédrale Notre-Dame ou dans le quartier dit de la Petite France.

Si vous veniez à quitter Berne et La Suisse, quelles sont les choses ou les coutumes que vous ne regretteriez pas ?

La pratique générale alémanique du souper à 18h00 tapantes nous est quelque peu étrangère et il nous arrive parfois avec ma femme de nous dire le soir avant de passer à table « Bon, allons goûter maintenant » (rires). Mais le fait que nous ayons habité dans différents pays et côtoyés différentes cultures fait que l’on s’adapte sans autres aux us et coutumes du lieu dans lequel on vit.

Nicolas Steinmann,  octobre 2019

PAROLE À ALEC VON GRAFFENRIED AU SUJET DE LA CONTRIBUTION ANNUELLE DE L'OFFICE FÉDÉRAL DE LA CULTURE À LA VILLE DE BERNE

Berne pourrait bien ne plus recevoir la contribution d’un million de francs que l’Office fédéral de la culture (OFC) lui verse chaque année pour ses activités culturelles. Un rapport du Contrôle fédéral des finances (CDF) estime en effet que cette contribution n’est pas justifiée et propose de la supprimer. Ce que conteste Alec von Graffenried, le maire de la ville de Berne.

«UNE CAPITALE FÉDÉRALE, AVEC TOUTES LES FONCTIONS DIPLOMATIQUES QUI LUI INCOMBE, A DES BESOINS SPÉCIFIQUES»

Qu'est-ce que reproche exactement le Contrôle fédéral des finances (CDF) à la ville de Berne?
Dans son rapport, le Contrôle fédéral des finances (CDF) conclut que la surveillance financière de l'utilisation de la contribution fédérale est insuffisante. Il faut bien préciser que nous parlons ici d’une contribution motivée par des considérations historiques et politiques, et non d’une aide financière. La ville de Berne ne commente pas les conclusions du rapport. Cependant, on ne peut pas déduire de ces conclusions que la seule indemnisation versée par la Confédération à sa capitale fédérale ne serait pas nécessaire. La question reste donc à éclaircir politiquement et non financièrement.

Le financement fédéral est-il donc indispensable à la ville. Pour quelles raisons?
En culture, chaque franc est utile car les budgets dans cette branche sont toujours très serrés. L’aide culturelle à la ville de Berne est indispensable car elle rend possible beaucoup de choses dans la culture, aussi bien dans les grandes institutions que dans les projets individuels. La culture, en tant que facteur de développement et de pierre angulaire de la qualité de vie d'une ville profite à tous, directement ou indirectement, et en particulier à une capitale fédérale qui, avec toutes les fonctions diplomatiques qui lui incombe, a des besoins spécifiques.

Quelles institutions ou événements bénéficient de cette subvention?
Quatre institutions reçoivent un montant fixe: le Konzert Theater Bern (Fr. 400 000.-), le Musée d’histoire de Berne (Fr. 95 000.-), la Dampfzentrale (Fr. 80 000.-) et la Kunsthalle
(Fr. 60 000.-). De plus, la contribution fédérale encourage des projets extraordinaires sélectionnés par la Commission de la culture de la capitale. Ce sont des projets de coopération entre plusieurs partenaires qui, par exemple, apportent une contribution particulière à la culture ou qui ont un rayonnement suprarégional. Les projets avec et pour les missions diplomatiques sont également financés.

Pensez-vous que vous recevez un traitement préférentiel? N'est-ce pas un problème comparé à d'autres villes?
La ville de Berne n'a certainement pas l'impression d'être favorisée par rapport aux autres villes. Dans tous les autres pays, la capitale occupe une position d’exception, dont la ville de Berne ose à peine rêver. Par exemple, si l'on compare avec d'autres villes suisses, on remarque que la Confédération soutiendra à partir de 2020 la Genève internationale avec une contribution annuelle moyenne de 25,95 millions de francs. Dans ces conditions, il ne peut être question de traitement préférentiel.

Le Parlement aura le dernier mot. Sauvera-t-il encore une fois cette contribution fédérale comme il l'a déjà fait par le passé?
La ville de Berne espère vivement que le Parlement ne votera pas la suppression de la contribution fédérale. Le Parlement a exprimé à plusieurs reprises sa volonté politique, à savoir qu’une indemnité culturelle était indispensable à la ville de Berne. Le Parlement a lancé un signal clair, notamment en invoquant l'article 18 dans la loi sur l’encouragement de la culture. Cet article constitue la base légale de la contribution fédérale. Dans le message du Département fédéral de l’intérieur (DFI) sur l’encouragement à la culture pour les années 2021-2024, il est question de supprimer cet article. Pourquoi le Parlement devrait-il accepter la suppression d'un article qu'il a lui-même inclus dans la loi en 2012, il y a seulement quelques années?

Christine Werlé, 30 septembre 2019

LE CRÉPUSCULE DES SALLES OBSCURES EN VILLE

Se faire une toile en ville, ce sera bientôt du passé! Les cinémas au centre de Berne ferment les uns après les autres. En cause notamment, la digitalisation, qui change nos habitudes de consommation et qui oblige l’industrie du divertissement à se réinventer.

En l’espace de quatre ans, la ville de Berne a perdu sept cinémas: le Rex à la Schwanengasse a fermé en 2015, le Royal à la Laupenstrasse en 2016, puis le Capitol à la Kramgasse en 2017. L'Alhambra à Hirschengraben, le Gotthard à la Bubenbergplatz, le City à l’Aarbergergasse et le Jura à la Bankgässchen ont suivi le mouvement l’année dernière. Et ce n’est pas fini: les jours du Splendid au Von Werdt-Passage sont comptés.

La chaîne de cinémas Kitag, à qui appartient ces salles, s’est progressivement retiré du centre-ville. En cause, les loyers élevés du centre-ville. Mais aussi la baisse de fréquentation des salles obscures. «Nous suivons la demande, car elle détermine l'offre. Malheureusement, dans le cas du centre-ville de Berne, nous ne pouvions plus rentrer dans nos frais», explique Olivia Willi, porte-parole de la société Kitag. C’est un fait, les habitudes des spectateurs-consommateurs changent: à l’heure de Netflix, du home cinéma et des plateformes de streaming, plus besoin de sortir de chez soi pour visionner un blockbuster à bon prix. Et en qualité HD, s’il-vous-plaît !

L’explosion des copies

Les nouvelles technologies ont également changé la façon d’exploiter une salle. «Aujourd’hui, aucun exploitant de cinéma n’a plus l’exclusivité d’un film, car, avec la numérisation, il y a beaucoup plus de copies qu’auparavant. Ainsi, tout le monde, même les petits cinémas des régions périphériques, peut montrer de nouveaux films en même temps. Dans le passé, les copies de 35 millimètres n'étaient jouées que dans une salle par ville», poursuit Olivia Willi. «Ainsi, il y a beaucoup plus de sorties par semaine, et les films disparaissent de l’affiche plus rapidement, car ils ne peuvent que difficilement être programmés en continu.»

Face à ces difficultés, certains exploitants de salles reprochent aux autorités un manque de soutien politique. «Elles n’en font pas assez pour garder un centre-ville dynamique», a déclaré Edna Epelbaum, propriétaire des cinémas Quinnie, dans le «Bund». Un reproche balayé par Franziska Burkhardt, déléguée à la culture de la ville de Berne. «La ville de Berne regrette la fermeture de cinémas dans le centre-ville. Parce que les cinémas constituent une offre culturelle importante et que leur disparition est une perte. Mais si les cinémas se retirent du centre-ville, cela n’a rien à voir avec un manque de soutien politique, mais avec des décisions entrepreneuriales», rétorque-t-elle. «Cependant, la ville de Berne est convaincue que les autres chaînes de cinémas qui restent en ville avec des offres complémentaires (bar, restaurant, etc.) continue de répondre aux besoins réels du public et ont de bonnes chances de succès. Et nous avons à cœur de leur garantir de bonnes conditions d’exploitation.»

Offrir plus qu’un film

Pour survivre aujourd’hui, un cinéma doit effectivement offrir des services en plus. Kitag concentre désormais ses forces à Muri bei Bern, à côté de l’autoroute, où il a construit un cinéma multiplexe dans le plus pur style américain. Son Cinedome ne compte pas moins de dix salles, équipées des dernières technologies en matière d’image et de son (par exemple une salle IMAX qui promet aux spectateurs de les plonger au beau milieu de l’action), un restaurant, un bar, 12 pistes de bowling et une «game zone». «La digitalisation nous oblige à nous réinventer et à créer de nouvelles offres. Aujourd’hui, il est plus facile de regarder un film en streaming à la maison. C'est pourquoi nous nous concentrons de plus en plus sur le divertissement, car le cinéma est synonyme d'émotions, de partage d'expériences avec la famille et les amis», justifie Olivia Willi.

Concrètement, le multiplexe offre deux avantages par rapport à une salle de cinéma traditionnelle. «Il permet de concentrer le public dans un seul lieu et d’économiser les coûts du personnel, car, avec la digitalisation, on a besoin que d’un caissier et d’un projectionniste», explique Gianni Haver, sociologue de l’image à l’Université de Lausanne (UNIL).

Le fait que les cinémas désertent les centre-villes n’est pas propre à Berne. On peut constater cette évolution partout en Suisse. Cela signifie-t-il que l’avenir des cinémas passe par la périphérie des villes? «Le futur nous dira si c’était la bonne solution», avance prudemment Gianni Haver. Le cinéma multiplexe de Pathé à Westside connaît en tout cas un énorme succès.

Christine Werlé, 2 août 2019

Claudine Esseiva et la grève des femmes du 14 juin 2019

Le 14 juin 2019 restera dans les annales: ce jour-là, les Suissesses sont appelées à faire grève pour manifester leur mécontentement face aux inégalités entre hommes et femmes, particulièrement en matière de salaires. Même si elle ne débrayera pas, Claudine Esseiva, conseillère de ville PLR à Berne, soutiendra le mouvement.

«IL N’Y A PAS LE BON EMPLOYÉ ET LE MÉCHANT PATRON. L’ÉGALITÉ SALARIALE, C’EST UN JEU DE POUVOIR ENTRE DEUX PERSONNES» 

 Est-ce que cette grève du 14 juin va changer les changer les choses? Quel impact aura-t-elle selon vous?
La grève de femmes du 14 juin ne changera pas directement quelque chose, mais elle rendra visible les inégalités qui existent toujours. Et avec cette visibilité, on augmentera également la pression pour les changements.

Seuls les cantons de Vaud et du Jura ont rendu cette grève des femmes licite. Est-ce que le canton de Berne aurait dû franchir le pas lui aussi?
Rendre la grève licite est un mauvais signal. On fait la grève contre un employeur, contre les conditions de travail dans une entreprise, mais là, il s’agit clairement de motifs politiques. Et les grèves politiques ne sont pas admises en droit du travail. A mon avis, il vaut mieux rendre le patronat attentif aux discriminations salariales plutôt que de faire grève. Créer cette sensibilité chez les entrepreneurs est très important.

 Pourquoi l’égalité salariale n’est-elle pas encore acquise dans notre pays? Qu’est-ce qui cloche?
Comme toujours dans l’histoire, il n’y a pas qu’un seul coupable. Il n’y a pas le bon employé et le méchant patron. C’est un jeu de pouvoir entre deux personnes. Les femmes doivent prendre leurs responsabilités. Elles doivent mieux négocier leurs salaires et être plus sûres d’elles. Oser dire: «c’est ça que je vaux et c’est ça que je veux». Ce que j’ai observé, c’est que ce manque de confiance vient du fait que le salaire compte moins pour les femmes que leurs passions. L’État a également son rôle à jouer bien sûr: il doit poser les conditions-cadre à l’égalité. Et c’est ce qu’il a fait avec la révision de la loi sur l’égalité, adoptée à la fin de l’année dernière. Les entreprises d’au moins 100 employés doivent désormais contrôler les salaires pour éviter les discriminations. Il a été constaté dans un récent rapport du Conseil fédéral que les employeurs qui ont fait cette analyse ont réagi et pris des mesures.

Selon vous, les discriminations salariales ne sont pas intentionnelles de la part des patrons?
Je ne crois pas. Cela existe, bien sûr, comme partout. Je pense que l’économie reflète la société: si l’on arrive à avoir plus de partage des tâches dans la vie privée, on arrivera aussi à avoir plus de partage dans le monde du travail.

 Les hommes sont priés de rester en retrait lors de la manifestation, car les femmes veulent être au centre de l’attention. N’est-ce pas contre-productif?
Tout à fait. La clé du succès pour l’égalité, ce sont les hommes. Dès que tous les hommes verront que l’égalité est une valeur ajoutée pour eux, là, nous aurons une société vraiment égalitaire. Mais c’est aussi le devoir des femmes de laisser les hommes prendre leurs responsabilités dans la vie privée. Je prends toujours mon exemple: lorsque mon mari se lève le matin pour emmener notre enfant à la garderie, je le laisse faire, car c’est sa responsabilité.

Vit-on dans une société trop patriarcale en Suisse?
Comparée aux autres pays européens, la Suisse est plus conservatrice, c’est un fait. Il n’y a qu’à regarder comment la plupart des familles vivent dans notre pays. Le modèle classique est toujours dominant: le père travaille à 100%, la mère à temps partiel. Et ce temps partiel est toujours très bas : ces femmes travaillent à 50% ou moins.

 Cette grève des femmes, vous allez y participer?
Faire la grève, ce n’est pas le genre des femmes de l’économie. En revanche, il est important de se mobiliser pour l’égalité. Je vais donc participer mais pas en faisant grève. Je vais prendre congé ce jour-là! (Rires)

 Vous êtes une femme de droite qui soutenez un mouvement de gauche… Comment cela est-il perçu dans votre parti?
S’engager pour les droits des femmes, ce n’est pas le pré carré de la gauche. C’est au-delà des partis. Oui je suis féministe. Ce qui me dérange, c’est que la gauche prenne en otage le thème de l’égalité et essaie de transformer la grève des femmes en lutte de classes, comme il y a 30 ans. J’espère que ce 14 juin, on arrivera à fédérer les femmes issues de toutes les classes sociales, les paysannes comme les cheffes d’entreprise.

Christine Werlé, 9 mai 2019

Parole à Beat Hächler, directeur du Musée Alpin Suisse

Contribution de Christine Werlé, 29 janvier 2019

Le Musée Alpin Suisse (alps) est sauvé. La Confédération est revenue sur la décision prise lors de l’été 2017 de réduire sa contribution de 75 %. Le Parlement a approuvé début décembre la demande d’augmenter la subvention à l’institution de 250 000 à 780 000 francs par an. Beat Hächler, directeur de l’alps, revient sur cette incroyable sauvetage.

 « SANS LE SOUTIEN DU PUBLIC, NOUS N’AURIONS JAMAIS PU CHANGER LA DÉCISION DU PARLEMENT »

Vous avez sauvé votre musée. Comment avez-vous réussi ce tour de force?

C’est le résultat de l’effort de beaucoup de gens. Le conseil de la fondation et l’équipe se sont montrés solidaires, et l’on peut dire que cette épreuve nous a soudés.  Nous avons aussi bénéficié de soutiens dans la Suisse entière, dans des branches aussi diverses que le tourisme, les sciences et la culture. Cette solidarité nous a aidé à motiver les politiciens du Parlement à s’engager pour le musée.

Comment cette solidarité nationale s’est-elle manifestée?

Nous avons lancé une action de sauvetage à l’automne 2017. Les gens pouvaient signer une pétition en ligne. À la fin, nous avions récolté quelque 16 000 signatures. Nous avons aussi reçu des milliers de mails, de commentaires et de lettres de soutien spontanés. Nous les avons d’ailleurs imprimés et nous les avons affichés dans les escaliers du musée. C’était impressionnant, c’était comme une tapisserie! On peut dire que cette crise a provoqué un renforcement du lien avec le public, ce qui est très positif. Sans cela, nous n’aurions jamais pu changer la décision du Parlement. Les politiciens ont ainsi vu que le Musée Alpin Suisse avait sa place dans le paysage culturel suisse.

À l’été 2017, le Parlement avait décidé de réduire sa contribution à votre musée de 75 %, soit 250 000 francs au lieu de 1 020 000 franc par an. Cela aurait-il signifie la fermeture du Musée Alpin Suisse?

Oui, c’était existentiel. Nous l’avons dit et ce n’était pas seulement une menace. Un manque à gagner de 770 000 francs, c’est énorme. Nous aurions pu nous arranger avec réduction de budget de 5 à 10 % mais pas davantage. De plus, nous n’avions qu’une année et demie pour accepter la décision de la Confédération. C’était trop court pour trouver une alternative.

Pourquoi avoir décidé de vous couper les vivres ?

Ce n’était pas à cause du musée lui-même. Personne n’est contre les montagnes ni contre un musée alpin! L’Office fédéral de la culture (OFC) a simplement changé son système de financement des musées. Il a décidé de financer 13 musées et non plus 7 comme auparavant. Le hic, c’est que l’enveloppe budgétaire est restée la même. Notre part de gâteau a donc diminué fortement. L’OFC n’a pas réfléchi aux effets catastrophiques de cette mesure.

À part de la Confédération, recevez-vous d’autres subventions ?

Oui, du canton de Berne. À hauteur de 780 000 francs par année.

L’Office fédéral de la culture a posé ses conditions à ce sauvetage: à l’avenir, vous ne serez plus soutenu dans la catégorie « Musées » mais dans la catégorie « Réseaux ». Qu’est-ce que cela veut-il dire?

Notre stratégie est désormais de mettre sur pied des projets communs avec des musées locaux de l’espace alpin, par exemple, ou des festivals. De conclure des partenariats pour présenter les thèmes des régions de montagne à l’extérieur et non plus de rester uniquement à Berne. Nous devenons en quelque sorte un centre de compétence national pour le patrimoine culturel alpin. En somme, on peut dire que, dorénavant, il y a deux parties dans la même institution: d’un côté le musée, qui est physiquement à Berne, et de l’autre, le réseau, qui fait des projets avec des partenaires extérieurs, surtout dans l’espace alpin, pas seulement en Suisse mais aussi en Europe.

 Vous activités muséales ici à Berne vont-elles pâtir de ce développement vers l’extérieur?

Avant, nous recevions 1 020 000 francs, et aujourd’hui, avec la décision de décembre du Parlement, 780 000 francs. Ces 240 000 francs en moins ne signifient pas seulement que nous devrons économiser sur des timbres ou du papier. Je réfléchis actuellement à différentes solutions: économiser dans les projets, prolonger d’un an à deux ans une grande exposition, trouver d’autres sources de financement, ou encore négocier avec les fondateurs historiques du musée: la ville, le canton, et le club alpin suisse. Il me faudra encore deux ou trois ans pour changer le système. Je n’ai pas de recette miracle. C’est une nouvelle aventure qui commence pour moi et le musée.

LE CRÉPUSCULE DES SALLES OBSCURES EN VILLE

Se faire une toile en ville, ce sera bientôt du passé! Les cinémas au centre de Berne ferment les uns après les autres. En cause notamment, la digitalisation, qui change nos habitudes de consommation et qui oblige l’industrie du divertissement à se réinventer.

En l’espace de quatre ans, la ville de Berne a perdu sept cinémas: le Rex à la Schwanengasse a fermé en 2015, le Royal à la Laupenstrasse en 2016, puis le Capitol à la Kramgasse en 2017. L'Alhambra à Hirschengraben, le Gotthard à la Bubenbergplatz, le City à l’Aarbergergasse et le Jura à la Bankgässchen ont suivi le mouvement l’année dernière. Et ce n’est pas fini: les jours du Splendid au Von Werdt-Passage sont comptés.

La chaîne de cinémas Kitag, à qui appartient ces salles, s’est progressivement retiré du centre-ville. En cause, les loyers élevés du centre-ville. Mais aussi la baisse de fréquentation des salles obscures. «Nous suivons la demande, car elle détermine l'offre. Malheureusement, dans le cas du centre-ville de Berne, nous ne pouvions plus rentrer dans nos frais», explique Olivia Willi, porte-parole de la société Kitag. C’est un fait, les habitudes des spectateurs-consommateurs changent: à l’heure de Netflix, du home cinéma et des plateformes de streaming, plus besoin de sortir de chez soi pour visionner un blockbuster à bon prix. Et en qualité HD, s’il-vous-plaît !

L’explosion des copies

Les nouvelles technologies ont également changé la façon d’exploiter une salle. «Aujourd’hui, aucun exploitant de cinéma n’a plus l’exclusivité d’un film, car, avec la numérisation, il y a beaucoup plus de copies qu’auparavant. Ainsi, tout le monde, même les petits cinémas des régions périphériques, peut montrer de nouveaux films en même temps. Dans le passé, les copies de 35 millimètres n'étaient jouées que dans une salle par ville», poursuit Olivia Willi. «Ainsi, il y a beaucoup plus de sorties par semaine, et les films disparaissent de l’affiche plus rapidement, car ils ne peuvent que difficilement être programmés en continu.»

Face à ces difficultés, certains exploitants de salles reprochent aux autorités un manque de soutien politique. «Elles n’en font pas assez pour garder un centre-ville dynamique», a déclaré Edna Epelbaum, propriétaire des cinémas Quinnie, dans le «Bund». Un reproche balayé par Franziska Burkhardt, déléguée à la culture de la ville de Berne. «La ville de Berne regrette la fermeture de cinémas dans le centre-ville. Parce que les cinémas constituent une offre culturelle importante et que leur disparition est une perte. Mais si les cinémas se retirent du centre-ville, cela n’a rien à voir avec un manque de soutien politique, mais avec des décisions entrepreneuriales», rétorque-t-elle. «Cependant, la ville de Berne est convaincue que les autres chaînes de cinémas qui restent en ville avec des offres complémentaires (bar, restaurant, etc.) continue de répondre aux besoins réels du public et ont de bonnes chances de succès. Et nous avons à cœur de leur garantir de bonnes conditions d’exploitation.»

Offrir plus qu’un film

Pour survivre aujourd’hui, un cinéma doit effectivement offrir des services en plus. Kitag concentre désormais ses forces à Muri bei Bern, à côté de l’autoroute, où il a construit un cinéma multiplexe dans le plus pur style américain. Son Cinedome ne compte pas moins de dix salles, équipées des dernières technologies en matière d’image et de son (par exemple une salle IMAX qui promet aux spectateurs de les plonger au beau milieu de l’action), un restaurant, un bar, 12 pistes de bowling et une «game zone». «La digitalisation nous oblige à nous réinventer et à créer de nouvelles offres. Aujourd’hui, il est plus facile de regarder un film en streaming à la maison. C'est pourquoi nous nous concentrons de plus en plus sur le divertissement, car le cinéma est synonyme d'émotions, de partage d'expériences avec la famille et les amis», justifie Olivia Willi.

Concrètement, le multiplexe offre deux avantages par rapport à une salle de cinéma traditionnelle. «Il permet de concentrer le public dans un seul lieu et d’économiser les coûts du personnel, car, avec la digitalisation, on a besoin que d’un caissier et d’un projectionniste», explique Gianni Haver, sociologue de l’image à l’Université de Lausanne (UNIL).

Le fait que les cinémas désertent les centre-villes n’est pas propre à Berne. On peut constater cette évolution partout en Suisse. Cela signifie-t-il que l’avenir des cinémas passe par la périphérie des villes? «Le futur nous dira si c’était la bonne solution», avance prudemment Gianni Haver. Le cinéma multiplexe de Pathé à Westside connaît en tout cas un énorme succès.

Christine Werlé, 2 août 2019

Le bilinguisme dans les soins hospitaliers

De Christine Werlé, 18 avril 2018

SALE TEMPS POUR LE BILINGUISME DANS LES SOINS

Il n’est pas toujours facile de se faire soigner en français à l’Hôpital de l’Île à Berne. Des patients francophones s’en plaignent régulièrement. Le gouvernement bernois a tenu à leur rappeler qu’ils avaient le droit d’être traités dans leur langue officielle. Mais les temps sont durs pour le bilinguisme dans le canton.

Les patients francophones de l’Hôpital de l’Île à Berne, au même titre que ceux des hôpitaux de Bienne, peuvent demander à être pris en charge dans leur langue, et c’est alors à l’établissement hospitalier de s’organiser en conséquence. Ce droit, le Conseil d’Etat bernois a tenu à le rappeler dans un récent communiqué, suite aux plaintes régulièrement formulées par les francophones de la région.

A l’origine de ces réclamations? Des traitements en allemand seulement, des rapports médicaux non traduits ou un manque de places de formation en français. «Il est effectivement arrivé que des patients auraient souhaité qu’il y ait davantage de personnel qui maîtrise bien le français», confirme Katrin Leutwyler, de l’Office de médiation de l’Hôpital de l’Île. «La loi ne contraint pas nos collaborateurs à parler français, mais nous nous assurons que le patient a bien saisi les informations importantes transmises par l’équipe de médecins et de soignants. Il est cependant clairement établi que nous employons chez nous des personnes qui parlent le français.»

Il y aurait même beaucoup de collaborateurs francophones parmi les cadres si l’on en croit le conseiller d’Etat Pierre Alain Schnegg, fraîchement réélu au gouvernement bernois pour une nouvelle législature. «Ayant fait moi-même l’expérience à titre personnel, j’ai été surpris par la qualité des soins en français», renchérit-il.

Le ministre en charge du Département de la santé publique et de la prévoyance sociale reconnaît toutefois l’existence d’un manque au niveau du bilinguisme à l’Hôpital de l’Île. Selon lui, le problème viendrait de la pénurie de personnel soignant qualifié. «Il y a de moins en moins de médecins formés sous nos latitudes. Les hôpitaux sont donc forcés de recruter à l’étranger. Et bien sûr, les collaborateurs engagés ne parlent ni français, ni allemand», explique-t-il.

Des efforts consentis

Pour répondre à cette pénurie, le Conseil d’Etat bernois prévoit de créer 100 places de formation en médecine supplémentaires à l’Université de Berne. «En formant des étudiants sur place, nous contribuons à augmenter la sensibilité aux langues nationales», déduit Pierre Alain Schnegg.

De son côté, l’Hôpital de l’Île a également initié des projets bilingues, grâce aux aides fédérales aux cantons bilingues. «Les thèmes importants du site internet seront traduits en français. Mais pas le site tout entier», détaille le porte-parole de l’hôpital Roman Bühlmann. «Les brochures et les bulletins d’informations aux patients seront eux, par contre, entièrement traduits en français. Enfin, des formations et des cours en français seront proposés aux collaborateurs», ajoute-t-il.

Concernant les panneaux d’informations à l’intérieur de l’hôpital, partiellement ou pas du tout traduits, rien n’est en revanche prévu. En cause: les travaux d’extension du bâtiment à l’horizon 2050, selon le porte-parole de l’établissement. Pour Virginie Borel, directrice du Forum du bilinguisme à Bienne, «cela s’explique surtout par le fait que l’Hôpital de l’Île se trouve en territoire germanophone, et non bilingue comme c’est le cas des établissements hospitaliers biennois. La signalétique n’est donc pas essentiel. Elle dépend du nombre de malades francophones traités à Berne».

Moins d’argent pour le bilinguisme

Les efforts consentis afin d’améliorer la prise en charge des patients dans les deux langues officielles représente pourtant un surcoût élevé pour les hôpitaux du canton. Jusqu’en 2014, l’Hôpital de l’Île recevait encore une subvention cantonale pour couvrir les coûts engendrés par le bilinguisme. L’arrêt brutal de cette aide il y a quatre ans a entraîné une détérioration au niveau de l’accueil «linguistique» des malades. Désormais, l’hôpital ne peut plus compter que sur une subvention fédérale, qui a elle-même été réduite de moitié.

«La Confédération a taillé dans l’aide au bilinguisme. Il y a deux ans encore, le canton de Berne recevait, dans le cadre de la Loi sur les langues et la compréhension (LCC), une subvention de la Confédération aux cantons bilingues qui se montait à 436'000 francs par an. Aujourd’hui, cette aide n’est plus que de 250'000 francs», raconte Virginie Borel. «Autrement dit, des cacahuètes!»

Sur ces 250'000 francs, l'Hôpital de l'Île à Berne a touché 60’000 francs, ce qui lui a permis de proposer les cours de français au personnel et de financer les autres projets cités plus haut. Le bilinguisme va toutefois continuer de faire les frais des économies fédérales: la Confédération ayant décidé d’une nouvelle coupe de 2% sur toutes ses subventions, le montant à disposition pour le canton de Berne baissera à 245'000 francs.

EMIL NOLDE, UNE EXPOSITION HAUTE EN COULEURS

Emil Nolde «Am Weintisch», 1911 © Nolde Stiftung Seebüll Photo: Atelier Elke Walford et Dirk Dunkelberg

Article rédigé par Valérie Lobsiger pour Aux arts etc, la plateforme culturelle francophone de Zurich, 28 novembre 2018 

DU LIEN QUI LIAIT EMIL NOLDE (1867-1956) ET PAUL KLEE (1879-1940), on n’apprendra pas grand-chose, pas en tout cas à l’exposition qui leur est consacrée. Une amitié entre leurs épouses Ada et Lily, une estime réciproque malgré des divergences politiques entre les deux peintres (Nolde continua de proclamer son appartenance au national-socialisme, même après saisie en 1937 de 1052 de ses œuvres dans les musées allemands tandis que Klee émigra à Berne dès 1933 après avoir été démis de son poste d’enseignant à Düsseldorf)… Guère plus, mais qu’importe. Elle est prétexte à explorer les sources d’inspiration de Nolde, ce contemporain de Klee dont l’œuvre sature de couleurs.

ISSU D’UNE FAMILLE DE PAYSANS, Emil fit à partir de 1884 un apprentissage de sculpteur sur bois et de dessinateur de meubles. C’est dans le monde alpestre qu’il puise tout d’abord son imagination, prêtant aux sommets alpins des visages de bons gros géants. En 1897, ces dessins sont édités sous forme de cartes postales qui lui rapportent de quoi s’offrir une vraie formation artistique. Ses premières figures grimaçantes, caractéristique récurrente du peintre, voient ainsi le jour. Autre source d’inspiration, la nature danoise du Jutland, empreinte des légendes nordiques dans lesquelles a baigné son enfance, qui lui souffle en 1901 ses créatures fantastiques. Il laisse le papier absorber l’aquarelle et dessine sur les formes spontanément apparues. On reste en arrêt devant « Avant le lever du soleil », une huile de 1901 où un dragon volant ressemblant à Dino, Le Petit Dinosaure, une série animée américaine trop connue, défie une sorte de gargouille menaçante taillée dans la roche. C’est à s’auto-flageller : pourquoi coller nos chères têtes blondes face à un écran devant tant de fantaisie préexistante…

UNE FORCE BRUTALE, UNE SENSUALITE SE DEGAGENT de ses toiles, à mi-chemin entre rêve et réalité. Des fantômes, des diables, des danseurs, des rois mages, des couples se reluquent, se défient ou s’affrontent ; des femmes dénudées attisent les tentations ; parfois dans une trêve, les lèvres vermillon se rapprochent. Cette lourde « Femme de mer » noire (huile de 1922), contorsionnée sur un rocher tandis que les vagues se déchaînent à deux pas, à l’épaisse et sombre chevelure, aux yeux injectés de sang, aux lèvres, aux doigts de mains et de pieds écarlates, n’est-elle pas menaçante ? Quels désirs obscurs réveille-t-elle à nos yeux fascinés ?

L’EMMENAGEMENT A BERLIN EN 1911 fait émerger sous son pinceau d’autres masques grimaçants : ceux de la bonne société s’encanaillant la nuit dans les cafés et cabarets où l’on s’enivre et où l’on danse. Deux traits blancs empâtés barrant une tache noire suffisent à suggérer une œillade lubrique, une épaisse ondulation carmin en guise de bouche évoque un sourire d’acceptation tacite. C’est rapide, cru, débridé, le tout dans une palette de tons chauds. Ca nous parle, expressif, efficace.

C’est aussi l’époque où Emil Nolde commence à s’intéresser à l’art ethnographique. Il fréquente assidûment trois hivers de suite le musée ethnologique de Berlin pour y reproduire à l’aquarelle statuettes et figurines en provenance de Nouvelle-Guinée. On les retrouve bientôt dans de multiples natures mortes à l’huile (telle « Figures exotiques », 1911), combinées à des porcelaines de Russie. Nolde croit à la nature originelle préservée. C’est même pour cela qu’il entame avec Ada un voyage en Papouasie-Nouvelle Guinée d’octobre 1913 à septembre 1914. Il y consigne ses impressions en accumulant les aquarelles.

A son retour, il se consacre à l’exotisme, au grotesque, au fantastique, signant un langage formel propre qu’il ne saurait abjurer, même pas par fidélité à l’Allemagne et à son Führer qui considère son art, amère déception, comme dégénéré. Klee reste à ses côtés « quand tout le monde se moque ». A la mort de Paul en 1940, Emil, après lui avoir rendu hommage, confesse: « Et pourtant son être, dans son tréfonds, est demeuré pour moi une énigme. Je n’ai jamais eu l’occasion d’un échange humain et amical avec lui ». Gageons que la réciproque était aussi vraie. Un autoportrait datant de 1917 placé à l’entrée de l’exposition nous accroche. Emil Nolde, moustache noire, panama, veste de lin blanche, cravate bleue assortie au bleu intense de ses yeux, nous fixe sans nous voir, de ses grosses pupilles dilatées. Son regard, fixé au loin, nous traverse. On croit l’entendre murmurer à son ami Hans Fehr que notre déchéance est en route et qu’elle est immuable.

Exposition « Emil Nolde », à voir du 17 novembre 2018 au 3 mars 2019, Centre Paul Klee, Monument im Fruchtland 3, 3006 Berne. T 031 359 01 01. www.zpk.org/fr/

Visites publiques en français les dimanche 20.01 et 3.03.2019 à 15h (CHF 5 + billet d'entrée). Performances de danse par Karin Minger les samedi 8.1218, 29.12.18, 19.01.19, 9.02.19 et 2.3.19 à 14 h (billet d'entrée).

«L'INCERTITUDE DANS LAQUELLE LA POPULATION RÉSIDENTE DOIT VIVRE EXIGE UNE ACTION CIBLÉE»

De Christine Werlé, 14 novembre 2018

Assis sur une poudrière. C’est un peu le sentiment des habitants de Mitholz, dans l’Oberland bernois. Théâtre d’une explosion meurtrière en 1947, le dépôt de munitions enfoui dans la montagne pourrait bien exploser encore une fois. C’est ce que révèle une analyse des risques présentée dernièrement par le Département de la protection de la population (DDPS). Un groupe de travail a été mis en place pour évaluer plus précisément le danger. A sa tête, Brigitte Rindlisbacher.

Sur une échelle de 1 à 10, à combien estimez-vous actuellement le risque d'explosion?

Le risque d'explosion ne peut être représenté sur une telle échelle. Voici ce que le rapport d'experts a révélé: la probabilité et l'ampleur possible d'une explosion de restes de munitions sont aujourd'hui estimées plus élevées qu'on ne l'avait supposé au cours des décennies précédentes.

Quelle quantité de munitions est enfouie dans le site? Pourquoi ne pas les avoir déjà évacuées?

Avant l'explosion de 1947, quelque 7000 tonnes brutes de munitions étaient entreposées. Une partie des munitions a ensuite été évacuée. Depuis lors, selon une estimation, jusqu’à 3500 tonnes brutes, soit plusieurs centaines de tonnes de substances explosives, sont restées sur place, sous les éboulis. Deux rapports, l’un de 1949 et l’autre de 1986, avaient conclu qu’une nouvelle explosion n’était certes pas totalement exclue, mais qu’un éventuel incident ne provoquerait que des dommages légers à l’intérieur du site et que celui-ci pouvait donc continuer à être exploité. En 1948, l’évacuation complète des restes de munitions avait été considérée comme trop risquée, essentiellement pour des raisons géologiques.

Est-il urgent de prendre des mesures? Lesquelles allez-vous prendre?

Les experts ont formulé diverses recommandations dans leur évaluation des risques. Le plus important est qu'il n'est pas nécessaire de prendre de mesures immédiates pour la population. L'évacuation du village ne s'impose donc pas pour le moment. Les experts ont par contre recommandé la fermeture immédiate du cantonnement de la troupe et d'un dépôt de la Pharmacie de l'armée. En effet, ceux-ci se trouvent dans l'installation même et donc à proximité immédiate des restes de munitions. Le cantonnement de la troupe est déjà fermé et la réserve de la Pharmacie de l'armée a été presque entièrement vidée. Enfin, dès qu’il a disposé de la nouvelle évaluation des risques, le DDPS a mis en place un groupe de travail. Le conseiller fédéral Parmelin m'en a confié la direction parce qu’en tant qu'ancienne secrétaire générale du DDPS, je connais bien la situation. Le groupe de travail a lancé les travaux tambour battant. Il s'agit notamment, comme l’a demandé le Conseil fédéral, de fournir des clarifications sur la réduction des risques, de procéder à des vérifications techniques (expertise géologique), de convenir d'une organisation d'urgence et de régler divers aspects juridiques.

Enseignement en français et en allemand à Berne

De Christine Werlé, 17 octobre 2018

Dès la rentrée d’août 2019, Berne proposera aux élèves dès le jardin d’enfants un enseignement en français et en allemand. Alors que dans d’autres cantons alémaniques, on veut repousser l’enseignement du français, la ville fédérale entend lancer un message politique clair en faveur du bilinguisme. Parole à Irene Hänsenberger, directrice du service scolaire de la ville de Berne.

« LA VILLE DE BERNE VEUT JOUER UN RÔLE DE PONT ENTRE LA SUISSE ROMANDE ET LA SUISSE ALÉMANIQUE »

Pourquoi avoir décidé d’introduire un cursus bilingue dès l’école enfantine?

Dans le canton de Berne, l’école obligatoire commence avec l’entrée à la maternelle. C'est pourquoi nous avons introduit les classes bilingues de la ville de Berne déjà à partir de l’école enfantine. En outre, le jardin d'enfants est très bien adapté à l'immersion dans la deuxième langue, car les enfants peuvent passer d’un monde linguistique à l’autre de manière ludique.

 La demande des familles francophones est-elle importante ? Combien de demandes avez-vous reçu?

Nos groupes cibles sont non seulement les familles francophones, mais également les familles bilingues. Mais les enfants germanophones et allophones devraient également avoir accès à ce cursus. La priorité est cependant donnée aux familles francophones et bilingues. Les parents ne pourront bénéficier de cette offre que dans le cadre des inscriptions à la maternelle. À l'heure actuelle, nous ne savons pas encore quelle est l’ampleur de la demande.

Jusqu’à quel âge les élèves pourront-ils suivre cet enseignement bilingue?

Dans un premier temps, le cursus s’étendra jusqu'à la fin du deuxième cycle, à savoir la sixième année scolaire. Mais dans un deuxième temps, et à condition que le concept soit un succès, nous étendrons l'offre à toute la période de scolarité obligatoire, c’est-à-dire jusqu'à la fin de la 9e année scolaire.

 Quand cet enseignement débutera-t-il et combien de classes y aura-t-il ?

Nous commencerons à l'été 2019 avec une classe de maternelle. Il est ensuite prévu, en plus de cette classe de maternelle, d’avoir trois classes : une classe pour la 1ère et la 2ème année scolaire, une classe pour la 3ème et 4ème année scolaire et une classe pour les 5ème et 6ème années scolaires.

Concrètement, comment l’enseignant va-t-il procéder? Va-t-il parler un peu en allemand et un peu en français? Ou alors certaines matières seront-elles enseignées en français et d’autres en allemand?

La moitié des matières seront enseignées en allemand et l'autre moitié en français.

 Cette filière bilingue, est-ce un message politique en faveur du bilinguisme à Berne?

Oui, définitivement. La ville de Berne veut jouer un rôle de pont entre la Suisse romande et la Suisse alémanique. Elle se considère comme une capitale mais aussi comme un lieu important où l’on cultive le bilinguisme.

Dix bonnes raisons de vivre à Berne

De Nicolas Steinmann, 15 août 2018

UNE VILLE OUVERTE SUR LES ARTS

Née à Liestal de parents jurassiens et ayant grandi dans les montagnes neuchâteloises, Evelyne Voumard a choisi voici 37 ans les bords de l’Aar pour réaliser son rêve musical : Hautboïste très précoce, elle a étudié au Conservatoire de musique de Berne (aujourd’hui la Haute Ecole des Arts) pour devenir concertiste puis soliste et y enseigner son instrument préféré.

En débarquant à vingt ans du Jura neuchâtelois dans la capitale helvétique, arrive-t-on avec des appréhensions face à une autre culture et une autre langue ?

Grâce à la discipline, valeur que j’ai apprise ici à Berne et que j’ai également dû pratiquer pour apprendre et enseigner la musique de manière professionnelle, je me suis rapidement intégrée et ai très vite pratiqué le suisse allemand.

Et comment les Bernois ont-ils accueilli une jeune Romande ?

Je me suis très rapidement intégrée. Quelques mois après avoir commencé mes études de musique, j’ai eu la chance de fréquenter une famille nombreuse d’artistes (ndlr la famille Demenga) dont chaque membre pratiquait ou pratique encore les arts de toutes les manières et ce, à un très haut niveau. Je me suis tout à coup retrouvée dans un cadre qui correspondait vraiment à ma nature, ce qui a grandement facilité mon intégration.

Qu’est-ce qui a beaucoup changé à Berne depuis lors?

Les trams (rires) ! A l’époque ils n’étaient pas seulement verts, mais les bancs étaient en bois et disposés sur deux rangées en longueur. Et maintenant ils sont rouges et plus confortables !

Et entre-temps, l’âme de la ville et de ses habitants a-t-elle beaucoup changé ?

Je ne sais pas dissocier la ville de moi-même et n’arrive pas à dire si c’est la ville qui a changé ou moi-même. Bien sûr, comme dans tout milieu urbain, bien des choses ont changé mais ma perception et mes intérêts également, ce qui fait que je perçois Berne d’une autre manière qu’à une époque pendant laquelle seule la musique comptait pour moi. La preuve, aujourd’hui je joue du saxophone dans un jazz band alors qu’à l’époque j’étais hautboïste et jouais du classique. Mais Berne reste toujours ma ville.

Si vous aviez à faire la promotion de Berne, quels aspects de la vie dans cette ville vanteriez-vous à une personne qui n’y est encore jamais venue?

Il y a toujours des choses à découvrir mais le marché de la Münstergasse les samedi matins est pour moi une tradition. Comment ne pas citer également les escaliers de la vieille ville ou encore la collégiale et sa plateforme. Du point de vue architectural, j’aime beaucoup les bâtiments rénovés de l’Ecole des Arts à la Papiermühlestrasse.. Et dans le domaine de la gastronomie, le restaurant Süder à la Weissensteinstrasse ou encore le Kirchenfeld à l’Helvetiaplatz comptent parmi mes préférés