COLLÉGIALE OU CATHÉDRALE?
Depuis plus de quarante ans, une polémique anime les discussions de la communauté francophone de Berne : le Münster est-il une collégiale ou une cathédrale ? Comme aucune décision officielle n’a été rendue, la question n’a jamais été résolue. Et s’il s’agissait en fait d’une abbaye ?
La controverse a éclaté au début des années 1980, si l’on en croit les archives du Courrier de Berne : comment traduire en français le mot «Münster»? Par « collégiale » ou par « cathédrale » ? Aucune décision officielle n’ayant été prise jusqu’ici, les deux traductions sont utilisées. Lassé par la correspondance de lecteurs qui proposaient à tour de rôle soit « collégiale », soit « cathédrale », feu le rédacteur en chef Ernest Wüthrich avait finalement opté pour « collégiale » dans les articles de notre mensuel. Mais, en 1992, une étude de Berchtold Weber, destinée à la Bourgeoisie de Berne, est arrivée à la conclusion qu’il fallait dorénavant utiliser le mot « cathédrale ».
Pour étayer sa thèse, ce professeur de mathématiques et d’informatique féru d’histoire, s’appuie sur plusieurs arguments : le premier est que les dictionnaires Larousse, Langenscheidt et Mozin traduisent «Münster» par « cathédrale ». Ensuite, même si, d’après le droit canon, le mot « cathédrale » ne s’applique qu’à un évêché, le Münster n’a pas à se conformer aux prescriptions catholiques, n’étant pas concerné. Autre argument : le mot « collégiale » appliqué à l’Église évangélique réformée est une référence à l’histoire et ne rend pas compte de son état actuel : un temple. Jusqu’en 1485, le Münster est une église paroissiale consacrée à saint Vincent de Saragosse, dont le service est assuré par l’Ordre Teutonique (Deutsche Orden).
L’équivalent d’une ville épiscopale
Le 19 octobre 1484, le pape charge l’évêque de Lausanne de détacher cette paroisse de l’Ordre Teutonique et d’en faire une collégiale laïque, ce qu’elle demeure jusqu’à la Réforme en 1528. En 1485, les chanoines de saint Vincent succèdent aux chevaliers teutoniques et établissent un monastère au Münster. Comme Berne se trouvait sur la rive gauche de l'Aar sur le territoire de l'ancien diocèse de Lausanne (la rive droite de l'Aar appartenait alors au diocèse de Constance), la liturgie du diocèse de Lausanne fut introduite.
Bien que n’abritant aucun évêque, la ville de Berne possédait les mêmes avantages qu’une ville épiscopale, le responsable de la collégiale ayant reçu les ornements pontificaux, selon Berchtold Weber. De plus, on employait déjà le mot «Münster» (qui vient du latin « monastérien » qui signifie monastère) pour désigner l’église. Après la Réforme, le doyen du Münster occupait les mêmes fonctions qu’un évêque : charges d’instituteur, consécration des pasteurs et présidence du Tribunal de la Cour suprême ecclésiastique. Berne n’a pas placé un évêque à la tête de l’Église nationale, comme le conseillait Luther. Pourtant, le pouvoir du doyen du Münster était très étendu, le Münster étant l’église principale de la Suisse réformée.
La décision du propriétaire
Après les négociations avec la Cour de France concernant les guerres de Bourgogne (1474 à 1477), Berne s’est mise au français, rappelle encore Berchtold Weber dans son étude. La traduction du mot «Berner Münster» est donc une question ancienne. Une traduction actuelle doit se mesurer à celle qui avait été proposée à cette époque. L’architecte Carl von Sinner publia en 1790 un plan de la ville de Berne dans lequel il désignait la «Grosse Kirche» ou bien «Münster» par l’expression « Église cathédrale Saint-Vincent ». On croit qu’il a suivi en cela l’usage de cette époque, voulant seulement rendre compte des noms des rues et des bâtiments qui existaient déjà et non pour faire un nouveau plan. De nombreuses preuves attestent qu’au XIXe, le Münster était appelé « cathédrale ». Au cours des années 1860, la Municipalité a fixé l’usage en traduisant «Münsterplatz» et «Kirchgasse» (la Münstergasse depuis 1967) par « Place de la cathédrale » et « rue de la cathédrale ».
Vers 1880, l’intérêt porté à l’histoire de l’art se développe. Voulant se référer à l’usage catholique selon lequel une église réformée doit prendre le nom qu’elle portait avant la Réforme, on a traduit «Münster» par « collégiale ».
Enfin, toujours selon Berchtold Weber, seul, le propriétaire du bâtiment est en droit de déterminer quelle sera la traduction définitive. Le Conseil paroissial du Münster a confirmé en 1993 vouloir conserver le mot « cathédrale » dans la traduction de «Berner Münster». Sa position est motivée par les arguments suivants : le Conseil suit l’usage de la langue du XVIIIe siècle ; le mot « cathédrale » est la traduction littérale de «Münster» ; Berne a eu un prévôt capitulaire exerçant tous les pouvoirs épiscopaux; le doyen qui travaillait à l’église de Berne avait toutes les fonctions d’un évêque.
Un terme trompeur
Bernd Nicolai, professeur émérite à l’Institut d’histoire de l’art de l’Université de Berne, n’est pas de cet avis. « Le Münster de Berne était à la fois une église collégiale (Stiftskirche) et une église paroissiale, retrace-t-il. «Münster» est un terme historique utilisé en général pour les églises du sud de l'Allemagne, en Alsace et en Suisse alémanique, c'est-à-dire dans l’espace germanophone. Il vient du latin « monasterium » (monastère), mais fait référence aux églises de ville, qu'il s'agisse de cathédrales, d'églises paroissiales ou collégiales (Berner, Baseler, Strasbourg, Freiburger Münster). »
Pour le spécialiste, le terme « cathédrale » est assez trompeur car Berne n'a jamais été le siège d'un évêque. « Le Münster de Berne était sous la responsabilité de l'évêque de Lausanne. Dans cet esprit, nous avons également utilisé le terme « collégiale » dans la version française du nouveau guide de la Société d’histoire de l’art en Suisse (SHAS). L'Aar formait également une frontière entre les évêchés de Lausanne et de Constance. »
Une nouvelle définition
Felix Gerber, sacristain et responsable du Münster, propose une variante. En préambule, il rappelle que lors de la fondation de Berne vers 1190, la ville appartenait ecclésiastiquement à la paroisse de Köniz, une commanderie de l'Ordre Teutonique. En 1276, Berne devint une commanderie de l'Ordre Teutonique. Ce dernier nommait le curé de la ville à l'église de la ville, dédiée à saint Vincent, et réglait le service selon la liturgie de l'ordre.
« Étant donné que le Münster de Berne n'a jamais été le siège d'un évêque, c'est-à-dire jamais une cathédrale (terme utilisé dans les régions de langue latine) ou un dôme (terme utilisé dans les régions de langue allemande), mais appartenait à l'Église de Köniz et donc à l'Ordre Teutonique avec sa structure de type monastère jusqu'au XVe siècle, le terme «Klosterkirche» (église du monastère ou abbaye) n’est pas tout à fait faux », étaie Felix Gerber.
Christine Werlé, janvier 2023
Parole à Pascal Vandenberghe, président-directeur général de Payot SA
PAROLE
Payot revient à Berne après 25 ans d’absence. La librairie romande s’installera au 3e étage de Stauffacher dès la mi-octobre. Pascal Vandenberghe, président-directeur général de Payot SA, explique ce qui a motivé son retour dans la ville des bords de l’Aar.
«JE NE VOULAIS PAS REVENIR SEUL À BERNE»
Payot a quitté Berne en 1997. Qu’est-ce qui a motivé ce retour dans la ville fédérale?
Plusieurs choses: d’abord, une enseigne comme Payot se devait d’être présente dans la capitale, où existe une communauté francophone. Elle n’est pas uniquement composée de résidents, mais aussi de politiciens et de pendulaires. Après, c’est une question d’opportunité. Je ne voulais pas revenir seul, en raison des loyers exorbitants en ville et des coûts d’investissement. L’objectif était donc de réduire les coûts. Il se trouve qu’en 2019, nous avons repris les locaux de la librairie ZAP à Sierre (VS), qui fait partie d’une chaîne appartenant à Orell Füssli. À cette occasion, j’ai rencontré Pascal Schneebeli, président-directeur général et membre du conseil d’administration d’Orell Füssli Thalia AG. Je lui ai proposé le concept d’une librairie dans une librairie, et il a tout de suite été emballé. Mais nous avons dû reporter le projet en raison de la pandémie de Covid-19.
Une librairie dans une librairie, c’est plutôt original comme concept… C’est unique en Suisse?
À ma connaissance, oui. Nous allons louer la surface d’environ 235 m2 au troisième étage de la librairie Stauffacher à la Neuengasse 37. Ce qui correspond à la taille d’une librairie moyenne telle que celle de La Chaux-de-Fonds. Nous nous chargerons des travaux et nous aménagerons avec des meubles Payot.
Estimez-vous qu’il y a une vraie demande livres en français à Berne? Qu’est-ce qui a changé par rapport à l’époque de votre départ il y a 25 ans?
J’espère en tout cas! C’est une clientèle potentielle non négligeable. Plusieurs raisons ont motivé le départ de Payot de Berne en 1997: d’abord, la clientèle faisait défaut à cause de l’emplacement de la librairie qui n’était pas idéal (ndlr : à la Bundesgasse 16). Ensuite, Payot devait à cette époque se concentrer sur la rénovation de ses librairies en Suisse romande. Enfin, on arrivait à la fin du bail et, pour les raisons citées ci-dessus, il a été plus simple de ne pas le renouveler.
L’offre que vous proposerez à Stauffacher sera-t-elle aussi étoffée que celle de vos librairies en Suisse romande?
De taille comparable évidemment. Tous les secteurs d’une librairie Payot seront présents. La seule différence, ce sera l’offre en anglais que nous n’aurons pas, puisque Stauffacher dispose d’un tel rayon.
La fermeture en 2004 de La Nouvelle librairie française, qui avait repris le flambeau après votre départ, avait suscité beaucoup d’émoi dans la communauté francophone de Berne. Mais aujourd’hui, avec l’accélération de la numérisation de la société, est-il encore indispensable d’avoir une librairie physique?
Oui! Dans une librairie physique, le rapport au livre n’est pas le même. En ligne, on n’aura aucun effet de surprise, il faut savoir ce que l’on cherche. Il y a certains livres aussi, comme les livres d’art, que l’on préférera toujours toucher. Et puis, le rapport au client est différent: un libraire pourra donner des conseils et des recommandations. Les algorithmes ne remplacent pas les êtres humains.
Christine Werlé, août 2022
UN SIÈCLE DE COURRIER DE BERNE
1922-1930: NAISSANCE D’UN JOURNAL
Le premier Bulletin romand paraît le 1er novembre 1922, et se décrit comme l’organe officiel de l’Association romande de Berne, créée elle en 1879 par Eugène Borel et Elie Ducommun. Dans une introduction qui n’est pas signée, l’organe officiel de l’Association romande de Berne se présente à ses sociétaires et lecteurs en commençant par s’excuser de son apparence modeste… avant d’annoncer son objectif: jouer un rôle utile comme nouveau lien entre les membres de l’Association et favoriser la cohésion entre les Romands de Berne, ou ce qu’on appelait alors la «Colonie romande de Berne». La Commission de rédaction était composée de journalistes anciens et actuels mais se voulait aussi ouverte aux communications des lecteurs. L’introduction se termine par ces vers du musicien, chansonnier et pédagogue suisse Jaques-Dalcroze :
Et chantons en chœur
Le pays romand,
De tout notre cœur
Et tout simplement!
Une vie associative foisonnante
Après la Première Guerre mondiale, l’Association romande de Berne reprend la tradition – interrompue par le conflit – des grandes soirées annuelles, et le Bulletin romand lui sert avant tout d’agenda pour communiquer ces événements: conférences, soirées littéraires, arbre de Noël de l’Église française, réunions de sociétés, bals, thés dansants, excursion annuelle, Revue romande… La vie associative de l’époque semble foisonnante! Et il en sera de même jusqu’en 1930. On apprend notamment que les Romands de Berne avaient pour habitude de se réunir le soir du 1er Août au Bierhübeli et que les Genevois de Berne fêtaient l’Escalade dans la ville fédérale! Les événements organisés par les Tessinois et les Français de Berne sont parfois communiqués dans le journal. En outre, Le Bulletin romand publie également des avis mortuaires, des avis de naissance et d’innombrables publicités (voir photo).
L’apparition de thèmes de société
Des articles sur des thèmes de société voient peu à peu le jour: la question de l’opium, celle de l’école française, le bilinguisme, l’arrivée de la téléphonie automatique (1926), le cyclone qui a ravagé le Jura (1926)… Un article paru en 1924 fait état du recensement des minorités linguistiques à Berne. Ainsi, en 1910, le district de Berne comptait 4839 personnes de langue française, dont 4500 en ville. En 1920, on passe à 5797 personnes parlant français, dont 5396 en ville. En dix ans, la communauté francophone s’est accrue d’un millier de personnes, soit d’une centaine par année. Autre fait intéressant: en 1926, on apprend que les Romands revendiquent leur droit à un tiers des fonctions dans l’administration fédérale. À noter encore que les médias alémaniques de l’époque, tels que le Bund et Radio Berne, semble s’intéresser de près au petit journal romand, comme en attestent des articles sur le sujet. En 1929, Radio Berne consacre même un jour par semaine aux questions intéressant le Jura bernois, Neuchâtel et Fribourg!
Transformations
Au cours de cette décennie, le journal des Romands de Berne change plusieurs fois de noms: de Bulletin romand, il devient le 6 mai 1925 Le Journal de Berne. 1930 semble être une année de grands changements, puisque la publication s’appelle brièvement la Gazette romande, avant de redevenir le Bulletin romand et de prendre un format beaucoup plus petit, et de passer de 8 pages à 4 pages. Ces transformations sont-elles dues aux difficultés financières que traversent le journal? Dès 1926, en tout cas, des appels à l’aide sont publiés. Ont-ils été entendus? Toujours est-il que le nombre d’abonnés passe de 700 en 1926 à 1200 en 1928. Et le nombre de numéros par année explose littéralement, passant d’une vingtaine à une… cinquantaine! Le tarif, lui, ne change pas: le numéro est toujours vendu au prix de 10 centimes.
Christine Werlé, février 2022
ASCENCEUR À POISSONS DE MÜHLEBERG
Le groupe bernois BKW a mis en service un ascenseur à poissons à sa centrale hydraulique de Mühleberg. L’installation doit permettre aux poissons qui remontent l’Aar de franchir le barrage et de migrer vers le lac de Wohlen. Ce projet original est la première mesure que le fournisseur d’énergie met en œuvre dans le cadre de l’assainissement écologique de ses centrales hydrauliques, comme l’explique René Lenzin, porte-parole de BKW.
«C’EST L’UNE DES PLUS GRANDES INSTALLATIONS DE CE TYPE EN EUROPE»
À quoi sert exactement cet ascenseur à poissons?
L’ascenseur de poissons doit garantir la libre migration des poissons. Il permet aux poissons de remonter l’Aar pour migrer vers le lac de Wohlen par-dessus le barrage haut de 20 mètres. À ce jour, les barrages sont souvent des obstacles insurmontables pour les poissons. L’ascenseur a été conçu pour permettre à un maximum d’espèces de poissons vivant dans l’Aar de migrer.
Comment fonctionne-t-il concrètement?
Au milieu de l’Aar, au niveau du môle de séparation et sur la rive gauche de l’Aar, se trouvent les passes d’accès pour les poissons. Les poissons trouvent leur chemin dans les passes grâce à un courant d’appel dans chaque passe. Les pompes assurent des conditions d’écoulement uniformes. Une fois au pied du puits de l’ascenseur, les poissons se retrouvent dans un bac rempli d’eau (cuve) qui se ferme automatiquement. Le bac est ensuite soulevé d’environ 20 mètres à l’aide d’un treuil. Arrivés en haut, les poissons sont automatiquement relâchés dans le lac de Wohlen à travers une gouttière. En raison de sa hauteur, l’ascenseur à poissons de la centrale hydraulique de Mühleberg est une des plus grandes installations de ce type en Europe.
Avez-vous déjà pu vérifier si les poissons empruntaient l'ascenseur?
Avant l'entrée en fonction de l’ascenseur de poissons, il y a eu une phase de test. Afin de vérifier si les poissons empruntent l’ascenseur, ils sont enregistrés statistiquement et observés avec des caméras lors de leur migration dans les canaux d’entrée et dans le bac. De cette façon, l’ascenseur peut être réglé de manière optimale et ajusté en permanence à la migration des poissons de l’espèce concernée.
Pour quelles raisons avez-vous décidé de mettre en place une telle installation?
La loi fédérale sur la protection des eaux révisée exige des exploitants de centrales hydrauliques qu’ils réalisent leur assainissement écologique d’ici 2030. L’ascenseur à poissons de Mühleberg est la première d’environ 40 mesures que BKW prévoit de mettre en œuvre dans le cadre de l’assainissement écologique de ses centrales hydrauliques.
Quelle somme avez-vous investi dans le projet?
6,2 millions de francs. La somme investie pour cet assainissement écologique est prise en charge par la Confédération.
Quelles autres mesures avez-vous prises dans le cadre de l'assainissement écologique de la centrale hydraulique de Mühleberg?
Actuellement, il n'y a pas d'autres mesures à Mühleberg. Mais au-delà de cette centrale et en plus des mesures d’assainissement écologique exigées par la loi fédérale sur la protection des eaux, BKW met en œuvre d’autres mesures pour que ses installations soient en harmonie avec la nature. Ces mesures supplémentaires sont en partie financées par le fonds écologique BKW.
Propos recueillis par Christine Werlé, décembre 2021
Résultats du sondage 2021 sur le CdB
Les deux visage de Napoléon
Il y a 200 ans mourait Napoléon Bonaparte. À Berne, seule la Bibliothèque Am Guisanplatz marque discrètement l’événement en proposant une liste actuelle de publications sur ce personnage historique controversé. Rien d’étonnant à cela : alors que Napoléon 1er est considéré comme un libérateur dans les cantons fondés en 1803, il garde pour Berne l’image de l’occupant impérialiste.
Avant de développer les relations qu’entretenait Napoléon Bonaparte avec Berne, il convient de dissiper une croyance populaire très répandue : Napoléon Bonaparte n’a pas attaqué et occupé la Suisse en 1798. « Il n’a même jamais mis les pieds à Berne », précise Alain-Jacques Tornare, historien et archiviste à la ville de Fribourg. À cette époque, général dans les armées françaises sous le Directoire, régime politique issue de la Révolution de 1789, il était occupé à préparer la campagne d’Égypte. « Les armées françaises qui envahirent la Suisse de janvier à mai 1798 étaient sous le commandement des généraux Brune, Schauenburg et Ménard », corrige à son tour André Holenstein, historien et professeur ordinaire en histoire suisse à l’Université de Berne.
De la Révolution française à la Révolution vaudoise
Ceci étant établi, revenons au comment tout cela a commencé. Lorsque la Révolution française éclate en 1789, personne à Berne n’imagine les répercussions de cet événement sur la Confédération des 13 cantons. La Ville-État voit d’un mauvais œil ce qui se passe en France. « Les Bernois en ont toujours voulu aux Français depuis la révocation de l’Édit de Nantes (1685) », raconte Alain-Jacques Tornare. Tout l’inverse du Pays de Vaud, alors sous une occupation bernoise dont il espèrait se libérer depuis longtemps.
Exilé à Paris, le noble vaudois Frédéric-César de La Harpe demande en 1797 au gouvernement français une intervention contre le régime de Berne. Le 18 novembre de la même année, le Directoire accède à sa demande et accorde le 28 décembre la protection officielle de la France. Tout va très vite ensuite : le 12 janvier 1798, un commando de Vevey prend d’assaut le Château de Chillon, symbole du pouvoir bernois, et l’indépendance vaudoise est proclamée à Lausanne le 24 janvier. Berne envoie une troupe de 5000 soldats pour reprendre le contrôle du Pays de Vaud. C’est le prétexte qu’attendait la France, qui cherche à s’assurer une route vers l’Italie par les Alpes. Le Directoire déclare la guerre à Berne, envahit le Pays de Vaud, et marche sur la cité des ours. « Paris voulait briser Berne, car elle était une puissance protestante hostile à la Révolution. Rabaisser Berne était en fait un vieux rêve français », détaille Alain-Jacques Tornare.
L’humiliation de Berne
Le 4 mars 1798, Berne capitule, et les armées révolutionnaires entrent dans la ville. À ce moment-là, le canton de Berne est le plus puissant et le plus riche de toute la Suisse. Deux jours après l'invasion du chef-lieu, les Français confisquent l'immense trésor de Berne et en emportent une partie à Paris. Il servira, entre autres, à financer la campagne d’Égypte de Napoléon Bonaparte. « Une légende raconte que le trésor de Berne aurait coulé au large d’Aboukir lors de la bataille navale qui opposa les flottes française et britannique », relève pour l’anecdote Alain-Jacques Tornare. D’après les calculs de Christoph Schaltegger, professeur en économie politique à l’Université de Lucerne, ce trésor vaudrait aujourd’hui plus de 600 milliards de francs s’il était resté aux mains des patriciens bernois.
Mais l’humiliation de Berne ne s’arrête pas là. En plus d’héberger et de nourrir à leurs frais les soldats français, les patriciens bernois doivent payer des taxes à l’occupant, en guise de punition à leur hostilité. Sacrilège suprême, les Français s’emparent des trois ours adultes de la Fosse aux ours, symboles de la ville, et les emmènent à Paris. Ils laissent derrière eux un ourson qui, privé de sa mère, mourra peu après et sera empaillé. Souvenir de la chute de la Ville-État, on peut l’admirer aujourd’hui au Musée d’histoire de Berne.
La fin de l’ancien monde
La défaite de Berne sonne le glas de l’Ancien Régime. En avril 1798, le Directoire met en place la République helvétique, dont la capitale tournante est dans un premier temps Aarau. Ce régime centralisé, basé sur le modèle français, repose sur l’égalité des droits et la séparation des pouvoirs. « Avant 1798, la Suisse n’était pas un État de droit », souligne Alain-Jacques Tornare. L’égalité civile est établie, abolissant les différences entre les citoyens patriciens et les citoyens ordinaires ainsi que l’assujettissement des pays. Le Pays de Vaud et l’Argovie sont donc libérés du joug bernois. « Comme le canton de Berne a combattu le plus violemment les Français, il a été sévèrement limité dans son expansion lors de la réorganisation territoriale de la Suisse. Il a perdu non seulement Vaud et l'Argovie, mais aussi l'Oberland bernois, qui devient un canton indépendant avec pour capitale Thoune », précise André Holenstein. « Cependant, les cantons de la République helvétique n'étaient pas des États souverains, mais des circonscriptions purement administratives - comparables aux départements français », poursuit l’historien bernois.
En 1799, Napoléon Bonaparte s’empare du pouvoir en France à la faveur du coup d’État du 18 Brumaire. C’est la fin du Directoire et le début du Consulat. Devenu Premier consul, Bonaparte reste un fervent défenseur de l’indépendance vaudoise. Quand, lors de sa première audience à Paris en 1801, le premier landamann de la République helvétique, le Schwytzois Alois Reding, se hasarde à évoquer un éventuel retour du Pays de Vaud à Berne, Napoléon Bonaparte aura cette réplique devenue célèbre : « Le soleil retournera du couchant au levant plutôt que Vaud à Berne. »
Aux origines de la Suisse moderne
Dans le même temps, la République helvétique devient rapidement ingouvernable. Le Parlement est déchiré entre fédéralistes et républicains. Compte tenu les différences linguistiques, culturelles et religieuses, un état centralisé calqué sur le modèle français n’a aucune chance de perdurer en Suisse. Napoléon Bonaparte laisse toutefois la situation s’enliser : il a d’autres chats à fouetter. Lorsqu’il retire les troupes françaises de Suisse en 1802, le pays sombre dans la guerre civile. Finalement, les Suisses eux-mêmes doivent se résoudre à demander l’aide de Bonaparte. Ce dernier accepte de devenir médiateur. Napoléon Bonaparte rédige alors une nouvelle Constitution pour le pays ainsi qu’un nouveau découpage des frontières cantonales : c’est l’Acte de médiation. En 1803, le nouveau texte fixe la Confédération à 19 cantons, dont six nouveaux : Saint-Gall, Grisons, Argovie, Thurgovie, Tessin et Vaud. Il rétablit également les cantons en tant qu'États souverains. Autre progrès majeur: le français, l'allemand et l'italien sont reconnus comme langues officielles. «Le fait qu’on puisse parler français à la Diète fédérale est une véritable révolution!, s’enthousiasme Alain-Jacques Tornare. « Quand on pense à Napoléon, on pense surtout au guerrier, mais on oublie qu’il était un grand législateur », ajoute-t-il.
L’héritage de Napoléon
À l'exception du Jura, les frontières des cantons sont encore aujourd’hui pratiquement telles que Napoléon Bonaparte les a tracées sur la carte de la Suisse en 1803. « L’importance de Napoléon 1er – non seulement pour l'histoire de Berne, mais pour l'histoire de la Suisse en général – réside dans le fait qu'en 1803, il a transformé les cantons en États souverains et a ainsi non seulement empêché le retour à l'Ancien Régime, mais a également ancré le fédéralisme en tant que principe d'État dans le droit constitutionnel et le système politique suisses. Vu sous cet angle, Napoléon peut certainement être décrit comme une figure fondatrice de la Suisse moderne », résume André Holenstein.
En 1815, le Congrès de Vienne dédommagera Berne des pertes territoriales subies lors de l’occupation française en lui attribuant une grande partie de l'ancienne Principauté de Bâle. « À cet égard, on pourrait reprocher à Napoléon - indirectement - d'avoir porté le conflit jurassien du XIXe siècle à nos jours dans le canton de Berne », conclut l’historien bernois.
Dossier préparé par Christine Werlé, septembre 2021
La nouvelle bataille de l'école cantonale de langue française de Berne (ECLF)
Fondée en 1944 à l’initiative de la communauté romande, l’École cantonale de langue française de Berne (ECLF) a dû se battre pendant des décennies pour pouvoir exister. Ce n’est qu’à partir de sa cantonalisation en 1982 que l’école a enfin pu respirer. Mais son avenir s’annonce à nouveau chahuté avec la révision de la loi fédérale sur son subventionnement.
Le Conseil fédéral entend réviser la loi fédérale concernant le subventionnement de l’École cantonale de langue française de Berne (ECLF). Il a ouvert en début d’année une consultation publique sur le projet de loi qui court jusqu’au 23 avril 2021. Ce sont des raisons d’adéquation aux dispositions du droit fédéral qui ont motivé sa décision. «La Confédération a constaté que la loi fédérale concernant l’allocation de subventions à l’ECLF de 1981 n’était plus conforme aux dispositions du droit fédéral et aux procédures actuelles en matière de subventions», explique Tiziana Fantini, responsable de projet communication au Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI). «De plus, la loi en vigueur se fonde sur un article constitutionnel qui n’existe plus. Une révision de la loi fédérale s’impose afin de remédier aux défauts constatés.»
L’ECLF est sous la responsabilité du canton de Berne, qui contribue aux coûts d’exploitation à hauteur de 75%, les 25% restant étant à charge de la Confédération. Ce soutien fédéral s’est monté à environ 1,3 million de francs en 2020. Il a pour but permettre aux enfants des employé(e)s non germanophones de l’administration fédérale et d’organisations dont l’existence sert la Confédération d’effectuer leur scolarité en français à Berne.
La Confédération assure que son soutien financier n’est pas remis en cause par la révision de la loi. «Le Conseil fédéral entend maintenir le niveau des aides financières de la Confédération à 25% des coûts d’exploitation de l’école», affirme Tiziana Fantini. «L’ECLF favorise le plurilinguisme, un aspect fondamental pour la Confédération.»
Une responsabilité commune mise en danger
Malgré ces garanties, le canton de Berne devrait s’opposer à la révision de la loi sous la forme proposée. «À l’origine, l’ECLF a été créée conjointement par la Confédération, le canton de Berne, la ville de Berne et la Société de l’École de Langue Française parce que les partenaires avaient un intérêt commun: concrétiser la cohésion nationale dans la capitale fédérale», explique Aldo Dalla Piazza, secrétaire général adjoint à la Direction de l’instruction publique du canton de Berne. «C’est dans ce sens que le canton a accepté de rendre cette école publique et cantonale. C’est pourquoi la responsabilité commune doit rester, selon nous. Or, avec la révision de la loi, la Confédération entend se désengager de cette responsabilité commune», affirme-t-il.
Subtil, le problème viendrait des termes techniques utilisés dans le projet de loi: on parle ici de «subvention» à une institution cantonale bernoise et non pas de «contribution» à une institution portée en commun. De plus, dans le texte, aucune référence n’est faite à la loi fédérale sur les langues nationales et la compréhension entre les communautés linguistiques (LLC). À terme, cela signifierait que la Confédération pourrait à tout moment modifier sa subvention et accroître son désengagement.
«La Confédération se retire en catimini, sans le dire, de manière implicite. Ce n’est pas fair-play», déplore Aldo Dalla Piazza. «On ne sait pas si c’est intentionnel ou si c’est seulement maladroit.»
Un ovni dans le paysage scolaire
Le directeur de l’ECLF, Michel Clémençon, partage cet avis: «L’ECLF fonctionne bien ainsi. Si la révision de la loi est acceptée, le canton pourrait être moins motivé à conserver l’école.»
L’ECLF, qui dispense un enseignement en langue française selon le plan d’études romand jusqu’au degré secondaire I, représente une exception dans le système scolaire. «C’est une école publique de langue française hors sol à Berne», tient à rappeler Michel Clémençon. Or, normalement, une école à Berne devrait dépendre de la commune et enseigner en allemand selon le plan d’études Lehrplan 21.
Des décennies de luttes
Si l’avenir de l’ECLF s’annonce mouvementé, son passé ne le fut pas moins. Fondée en 1944 sous l’impulsion du pasteur René Hemmeler et de membres de la communauté romande de Berne, réunis en une Société des Amis de l’École de Langue Française (SAELF, puis SELF), l’école dut se battre pour pouvoir exister. Sollicitées pour leur aide, les autorités firent longtemps la sourde oreille. «Les débuts étaient folkloriques!», se rappelle Simone Schweizer, institutrice à l’ECLF de 1950 à 1993. «Pour que l’on puisse nous lancer, les cantons romands nous ont prêté le matériel.»
Installées à l’origine dans des appartements à la Schwarztorstrasse 5, les salles de classe étaient étroites, la cour de récréation pratiquement inexistante. «Ma salle de classe était si exiguë que je devais pousser mon bureau pour laisser les élèves entrer… Mais quelle époque formidable!», sourit Simone Schweizer. «Je me souviens que depuis mon pupitre, je ne voyais même pas toute la classe», renchérit Michel Clémençon.
Pour que les fonctionnaires de la Confédération et du canton placent leurs enfants à l’ECLF, il fallut faire du porte-à-porte. Les écolages exigés n’empêchèrent pas de voir le nombre d’élèves augmenter. Au fil des ans, un jardin d’enfants fit son apparition, puis de nouvelles classes du degré secondaire. L’école suscita par ailleurs la grogne d’une partie de la population bernoise. «Un groupe de Bernois écrivaient régulièrement des tribunes dans les journaux. Ils voulaient nous détruire», s’emporte Simone Schweizer.
Les temps furent durs
Jusqu’à la cantonalisation de l’école en 1982, l’ECLF fut aux prises avec les pires difficultés financières. «Je me souviens d’un mois de décembre où l’on n’a pas pu être payé. On a tout de même reçu 250 francs pour acheter les cadeaux de Noël», poursuit Simone Schweizer. «Les institutrices et les instituteurs qui acceptaient de venir travailler à ces conditions n’avaient souvent même pas d’expérience professionnelle, mais tous défendaient l’école et étaient prêts à tous les sacrifices.»
Avec le temps, les interventions multiples des responsables de l’ECLF auprès des autorités finirent par porter leurs fruits. Certains appuis financiers, d’abord modérés, furent consentis. En 1962, le canton de Berne prit à sa charge le salaire des enseignants. Et en 1982, enfin, l’école devint publique et cantonale. En 1987, le canton vota un crédit pour la construction d’un nouveau bâtiment à Jupiterstrasse. L’inauguration eut lieu en avril 1991.
Les Français majoritaires
L’ECLF compte actuellement 340 élèves. Les Suisses constituent toujours la nationalité la plus représentée à l’école, juste devant les Français. «Les Sud-Américains scolarisent aussi systématiquement leurs enfants chez nous. De même que les Russes», note Michel Clémençon. 40,8% des écoliers sont issus de familles directement liées à la Confédération, aux ambassades et aux organisations internationales. Après l’ECLF, plus de la moitié des élèves vont faire une maturité à Bienne ou à Berne (bilingue).
Dossier préparé par Christine Werlé, avril 2021
Parole à Solange Ghernaouti
La pandémie, en accélérant la transition numérique, a favorisé la cybercriminalité. Si le télétravail contribue à nous protéger du Covid-19, il a en revanche rendu les entreprises plus vulnérables aux attaques informatiques. Un nouveau phénomène qu’analyse Solange Ghernaouti, professeure à l’Université de Lausanne (UNIL) et experte internationale en cybersécurité et cyberdéfense, invitée l’automne dernier par l’Alliance française de Berne.
« AUJOURD’HUI ENCORE, EN MATIÈRE DE CYBERSÉCURITÉ, NOUS AGISSONS EN POMPIERS, NOUS RÉAGISSONS TOUJOURS DANS L’URGENCE »
Depuis le début de la pandémie, a-t-on constaté une recrudescence des cyberattaques et de la cybercriminalité ?
Il a été effectivement constaté depuis le début de la pandémie une recrudescence des cyberattaques. Elles ciblent non seulement les entreprises et agences gouvernementales, mais aussi par exemple, l’OMS, des sites hospitaliers et des institutions de santé ou encore des centres de recherche. Par ailleurs, durant les périodes de confinement, les activités liées à l’exploitation sexuelle des enfants en ligne ont augmenté. La commercialisation de contenus d’abus sexuels de bébés et d’enfants a largement été observée par Interpol et Europol. Avec la cyberpédophilie, les crimes ne sont pas virtuels, seule leur représentation est dématérialisée et ce sont bien de vraies victimes dont la vie est détruite. Le contexte de la pandémie a également profité à ceux qui manipulent l’information sur les réseaux sociaux en propageant des rumeurs, de fausses informations, des contre-vérités en lien avec le Covid-19. De véritables campagnes de désinformation et de manipulation de l’opinion ont pu également prospérer au travers d’Internet.
Le télétravail nous rend-il plus vulnérables aux attaques des pirates informatiques ? Pour quelles raisons ?
Le télétravail, recommandé pour contribuer à lutter contre la pandémie, n’a fait qu’augmenter l’attractivité des systèmes, des flux échangés et le nombre de cibles potentielles pour des criminels. La cybersécurité se construit sur le long terme, en amont de la survenue des problèmes, or le travail à domicile a été mis en place dans l’urgence, sans forcément prioriser et apporter des réponses convaincantes aux besoins de cybersécurité requis au regard des risques encourus. Les PME, mais pas seulement, sont alors devenues encore plus exposées et vulnérables lors de la crise sanitaire. Les entreprises qui autorisaient déjà le télétravail ou qui étaient habituées au travail à distance sont en principe mieux préparées aux cyberrisques que les entreprises qui ont dû passer au télétravail dans la précipitation.
Quel est l'impact financier de ces cyberattaques sur les entreprises ?
Le coût de la cybercriminalité est porté par la société et représente environ 1% du produit intérieur brut des pays.
La pandémie a entraîné l'émergence d'applications de traçage et de logiciels de visioconférence. Ces nouveaux outils constituent-ils un risque pour la protection de nos données ?
Tout objet et système connecté à Internet sont piratables et peuvent devenir une cible pour la cybercriminalité ou être détourné et engendrer des usages abusifs. Les applications de traçage des contacts comme SwissCovid posent plusieurs problèmes de sécurité. Ainsi, la technologie Bluetooth utilisée comporte des vulnérabilités et des failles de sécurité qui peuvent être exploitées et qui portent atteinte à la protection des données et à l’anonymat des usagers. Il a été démontré qu’il était possible de réaliser les actions suivantes : captation, interception par un tiers non autorisé des messages transmis sur l’interface Bluetooth ; insertion, suppression de messages par un tiers ; observation des signaux (écoute, espionnage); interruption de la connectivité (déni de service); prise de contrôle à distance.
De plus, il est difficile de bâtir la confiance envers le dispositif dans la mesure où ce sont des multinationales Apple-Google qui en contrôlent le fonctionnement. Il est impossible de le faire tester ou auditer par des entités indépendantes et il est de notoriété que ces entreprises commerciales ont bâti leur hégémonie et leur puissance commerciale sur l’exploitation des données.
En matière de cybersécurité, l’ouverture des systèmes, la connectivité permanente et la facilité d’usage d’outils grand public et souvent gratuits ne riment pas avec une sécurité de qualité. Il est avéré que les logiciels gratuits comme ceux utilisés pour réaliser des visioconférences non seulement n’offrent pas un niveau raisonnable de sécurité, mais exploitent les données livrées par les utilisateurs ainsi que celles collectées à leur insu. Toutes les données possèdent une vie cachée hors du contrôle de leur propriétaire. Le problème est encore plus grave lorsqu’il s’agit de données de santé.
De manière générale, l’anonymat complet (réel, effectif) est impossible. Au-delà de ces problèmes techniques, des applications de traçage et de suivi des déplacements et contacts des personnes posent le problème plus général de l’acceptation de la surveillance informatique généralisée. Qu’elle soit motivée ou non par une urgence sanitaire, un débat démocratique s’impose.
Pour ma part, je défends le droit de vivre sans être sous surveillance informatique, le droit à la déconnexion, le droit de ne pas dépendre d’algorithmes d’intelligence artificielle. Il appartient aux consommateurs d’être exigeants, d’exprimer leurs besoins, y compris envers les entités commerciales et publiques afin que celles-ci respectent le droit à la vie privée, à l’intimité (privacy) et à la protection des données personnelles. Ces moments de trouble détournent l’attention et la vigilance des populations, et peuvent être exploités par des acteurs qui souhaitent voir autoriser ou déployer des solutions qui empiètent fortement sur les libertés (surveillance à travers les mobiles, détournement de finalité de données, usage de drones, etc.). Ce n’est pas parce que de nombreuses personnes s’exposent à travers des réseaux dits sociaux et ont échangé leur vie privée contre une illusion de liberté et une vie numérique, dont les normes comportementales sont imposées par des fournisseurs de services, que tout le monde doit se résigner à la fin de sa vie privée. Nous ne sommes pas obligés de nous laisser déposséder de ce que nous sommes, de ce que nous faisons, de l’endroit où nous sommes, de l’endroit où nous allons, de ce que nous voyons, de ce que nous pensons et aimons, des contacts fortuits ou voulus que nous entretenons !
Quelles mesures d'hygiène numériques pouvons-nous prendre à notre niveau afin de protéger au mieux nos données et de nous protéger contre les virus informatiques ?
Pour se protéger en cas pandémie, il y a le confinement, le port du masque, l’adoption des comportements et des mesures d’hygiène. Il devrait en être de même pour lutter contre la propagation de virus informatiques, de programmes malveillants, de rançongiciels et des cyberattaques. Il est avant tout nécessaire de disposer d’une politique de sécurité, de mesures d’hygiène et de sécurité informatiques efficaces, de campagnes de sensibilisation et de pratiques cohérentes du numérique. Encore aujourd’hui, en matière de cybersécurité, nous agissons en pompiers, nous réagissons toujours dans l’urgence après une cyberattaque, un incident ou un sinistre informatique. Être réactif, c’est bien, mais pas suffisant au regard des conséquences désastreuses que peuvent entraîner des cyberattaques. Il est impératif de pouvoir être plus proactif et de tout mettre en œuvre pour prévenir la concrétisation de menaces.
La Confédération crée 20 nouveaux postes pour lutter contre la cybercriminalité et va mettre sur pied un Centre national de la cybersécurité. L'avenir de notre société, de son économie sera-t-il numérique ?
La pandémie agit comme un accélérateur de la transition numérique déjà orchestrée et une justification de plus conduisant à la dématérialisant des activités. Cela se traduit par une perte de contrôle de celles-ci, souvent accompagnée par une perte de sens pour les protagonistes au profit des intermédiaires et fournisseurs technologiques. De manière concomitante, cela contribue à développer les applications d’analyse massive des données, le marché de l’intelligence artificielle, le controlling informatique généralisé et l’économie de la surveillance en instaurant un nouvel ordre et une nouvelle organisation de la société. Toutefois, en optant pour toujours plus d’informatisation et de cyberdépendance avec des services et des infrastructures numériques vulnérables aux cyberattaques, l’économie et la société deviennent plus fragilisées. Pouvons-nous, aujourd’hui et demain, faire face à des cyberattaques de grande ampleur et intensité sur les infrastructures vitales au bon fonctionnement du pays et sur les chaînes d’approvisionnement ? Faire de la gestion de crise consiste à assurer en amont de la crise de disposer d’une organisation, des compétences et des ressources nécessaires pour y remédier. Ce qui se traduit dans un monde hyperconnecté et interdépendant à devoir être suffisamment autonome, indépendant et souverain.
Propos recueillis par Christine Werlé, janvier 2021
Aa service des relations franco-suisses
C’est en 2019 que Frédéric Journès a été nommé ambassadeur de France en Suisse, son premier poste à cette prestigieuse fonction. Ce natif de Paris et originaire de la région Rhône-Alpes a débuté sa arrière diplomatique dans le domaine des affaires politicomilitaires, ce qui l'a fait passer par New York, la Grèce puis l'Afghanistan avant d’arriver sur les bords de l’Aar. En arrivant pour la première fois de Bâle par le train, il a été subjugué par le magnifique panorama sur la ville et les Alpes bernoises. Rencontre et échanges passionnants et passionnés sur la terrasse de la Dampfzentrale.
Être Ambassadeur en Suisse lors d’une crise telle que celle que l’on vit depuis le mois de mars dernier doit très certainement être une expérience particulière.
Je ne m’imaginais pas du tout être confronté à pareille situation. Mais, avec les deux Consuls généraux de France en poste à Genève et à Zurich, nous avons pu profiter de nos expériences de situations extrêmement compliquées, ce qui nous a donné les bons réflexes pour gérer la situation au mieux. La grande différence a été que lorsque l’on vit une crise dans un pays, la France n’est généralement pas touchée par celle-ci, alors que cette fois-ci, on s’est retrouvé à tous devoir tout gérer dans l’urgence. À ce moment-là, on se sent un peu comme sur l’un de ces canots gonflables qui voguent sur l’Aar (rires).
Vous avez été vu et entendu plusieurs fois sur les médias romands non seulement pendant la crise mais également lors des élections fédérales d’automne 2019. Le rôle d’un ambassadeur est-il, selon vous, d’être plutôt présent dans les médias ou plutôt discret ?
S’exprimer devant les médias est quelque chose dont je n’ai pas l’habitude car dans mes métiers précédents, je ne communiquais pas. J’essaie de voir quel volume de communication ma fonction exige car un ambassadeur n’est pas censé donner son avis sur tout. Mais si vous voulez expliquer que la relation entre la Suisse et la France est bonne, il faut en parler avec les gens qui ont l’attention du public. C’est le seul moyen d’accéder à l’opinion publique. J’observe que les médias suisses ont une attitude professionnelle et pas malveillante. On le remarque dans le fait qu’ils ne vont pas déformer vos propos pour vous faire dire ce que vous n’avez pas dit.
Selon vous, Berne est-elle une ville bilingue ?
La ville est germanophone mais il y a chez les Bernois une vraie attention à faire un effort lorsque vous exprimez en français. Ils sont capables de vous comprendre et de se faire comprendre. C’est sans doute dû au fait que le canton de Berne est bilingue et que la Suisse est un pays francophone et donc que certaines institutions fédérales en place à Berne, comme le DFAE, portent une attention particulière au français et à la culture francophone.
Quels sont les lieux en ville de Berne que vous appréciez le plus?
La chose incroyable dans cette ville, c’est d’avoir une vraie variété de lieux et de choses à voir atteignables en à peine dix minutes de marche. Lorsque des amis me rendent visite, je les emmène au bord de l’Aar par le parc aux ours puis ensuite dans le quartier du Nydegg en passant par le Untertorbrücke. On a alors l’impression de se retrouver dans un village médiéval de l’Ariège. Et en hiver, l’offre culturelle, notamment pour des spectacles de danse ici à la Dampfzentrale, est fort intéressante : il n’y a pas besoin de s’y prendre six mois à l’avance pour trouver des places, comme c’est le cas si vous désirez aller voir un spectacle au Théâtre de la Ville à Paris.
En arrivant à Berne, quelle particularité de la ville vous a-t-elle le plus frappé ?
Je la trouve très belle. Ce qu’il y a de merveilleux ici, c’est que vous bénéficiez d’une qualité de vie sans être dans une ville-attraction et qui ne s’est pas standardisée, comme à l’inverse des autres grandes villes dans lesquelles j’ai vécu. Vous regardez autour de vous et vous voyez des Bernois qui vivent dans leur ville qui est restée ce qu’elle est, authentique.
Les bons tuyaux du paradis bernois selon Frédéric Journès :
- Le restaurant brasserie Bay, dont la terrasse au-dessus de l’Aar est fort agréable
- La Dampfzentrale (restaurant et salle de spectacle)
- La brocante dans la salle de spectacle The Stage, à Liebefeld
- Se munir d’un abonnement demi-tarif et partir les week-ends en train à la découverte de l’Oberland bernois et du reste de la Suisse
Impressions récoltées par Nicolas Steinmann, août 2020
Berne, ville fantôme
Article rédigé par Christine Werlé, 6 avril 2020
Des rues désertes, des magasins fermés, le temps qui ralentit… le scénario catastrophe d’un film d’horreur est devenu réalité en l’espace d’une semaine à Berne et ailleurs en Suisse. Ce ne sont cependant pas des zombies qui rôdent en ville, mais bien un ennemi invisible: le coronavirus. Une épidémie qui a radicalement changé notre mode de vie.
On se souviendra longtemps de ce 16 mars 2020, jour où l’état de «situation extraordinaire» a été décrété dans toute la Suisse par le Conseil fédéral afin de freiner la propagation du coronavirus. Tous les magasins, marchés, restaurants, bars, salons de coiffure, centres esthétiques, musées, bibliothèques, cinémas, salles de concert, théâtres, centres sportifs, piscines, domaines skiables resteront fermés jusqu’au 19 avril. Toutes manifestations publiques ou privées ont été interdites. Les rues de Berne, d’ordinaire si grouillantes de vie, se sont brutalement vidées de leurs passants et commerçants.
La crise a en effet impacté directement nos déplacements dans la ville puisqu’en plus des lieux cités plus haut, cinq parcs bernois ont été fermés au public. Le premier a été celui de la plateforme de la Collégiale. Le Conseil municipal a décidé de cette mesure en raison de la présence de grands groupes de personnes qui ont pour habitude de s’y réunir souvent dans un espace confiné. Ont suivi la Grosse et la Kleine Schanze, le Rosengarten et la terrasse du Palais fédéral. Leur accès a été interdit car, pendant la nuit, dans ces parcs, la distance de sécurité entre les personnes (c’est-à-dire 2 mètres) n’était pas respectée.
Garder ses distances
C’est que, partout, on nous appelle à garder nos distances les uns avec les autres, à éviter les rassemblements de plus de cinq personnes et à respecter les mesures d’hygiène. Et gare aux contrevenants!
La police a renforcé sa présence en ville de Berne afin de souligner la gravité de la situation et de faire respecter les mesures prises par les autorités. «Les exploitants des magasins et des restaurants ainsi que les personnes qui ne respectent pas les règles édictées par la Confédération, par exemple l’interdiction des rassemblements de plus de cinq personnes, doivent s’attendre à recevoir une amende», indique Walter Langenegger, chef du service Information de la Ville de Berne. La bûche peut se monter à plusieurs centaines de francs.
En quarantaine
Une frange de la population se retrouve en confinement total: les personnes âgées. Les seniors de plus de 65 ans qui vivent à domicile doivent rester chez eux. Et ceux qui se trouvent en EMS ne peuvent plus recevoir de visites. De même que les handicapés dans les foyers et les malades.
La situation est un peu meilleure pour les enfants. Car si toutes les écoles du canton ont été fermées, elles assurent cependant les cours par un enseignement à distance. La prise en charge des plus petits est aussi malgré tout assurée par les crèches et les garderies, qui, elles, restent ouvertes.
Consommer autrement
Les entreprises ont été appelées à privilégier le télétravail. Dans le souci d’éviter à leurs employés les déplacements et les contacts sociaux inutiles. Car on ne peut plus se déplacer que pour aller chez le médecin ou à la pharmacie, pour aider un proche ou pour aller acheter de la nourriture.
Ces règles ont radicalement changé nos comportements de consommation. Dans les magasins d’alimentation, on entre au compte-gouttes, car la clientèle doit disposer d’un espace de 4 mètres carrés par personne. A l’entrée, on doit se désinfecter les mains. Les sections qui vendent des articles autres que ceux destinés à l’usage quotidien sont fermées.
Récession attendue
L’économie bernoise va de toute évidence profondément souffrir de la crise du coronavirus. «Ce sont des centaines de milliers d’emplois précieux et des dizaines de milliers d’entreprises dont le sort est menacé par la pandémie dans le canton de Berne et en Suisse. Cela est d’ailleurs illustré par l’explosion des demandes de chômage partiel», déplore le président du gouvernement bernois et directeur de l’économie Christoph Ammann. Pour soulager financièrement ses institutions de santé, ses PME et ses travailleurs indépendants, le canton a adopté une ordonnance qui lui permet par exemple d’octroyer des prêts sans intérêts, d’accorder un sursis de paiement aux loyers ou de suspendre les délais de paiement des créances en matière d’impôts, d’émoluments et de taxes jusqu’au 30 juin. Par ailleurs, les organisations d’utilité publique dans la culture et le sport bénéficieront à titre exceptionnel d’un montant total de 25 millions de francs prélevé sur le Fonds de loterie.
«La Ville de Berne a peu de moyens pour soutenir l’économie, c’est pourquoi nous nous en remettons à la Confédération et au canton», explique Walter Langenegger. L’Exécutif va toutefois agir à son niveau, par de petites actions. «Nous allons alléger la bureaucratie pour les entreprises, assouplir temporairement les directives dans l’attribution des marchés publics, et payer les factures commerciales le plus rapidement possible», détaille le porte-parole. «Nous étudions également les autres domaines dans lesquels nous pourrions faire preuve de flexibilité.»
A ces mesures cantonales et locales s’ajoutent celles de la Confédération, décidées le 20 mars pour soutenir l’économie suisse dans sa totalité. Un plan de 40 milliards de francs a été débloqué pour aider les entreprises. Celui-ci comprend, entre autres, la facilitation d’octroi de prêts bancaires en cas de problèmes de liquidités et l’élargissement du droit à des indemnités en cas de réduction de travail.
Le pic de l’épidémie pas encore atteint
Sur le front médical, quelque 418 cas (chiffres fin mars) de coronavirus ont été signalés jusqu’à présent dans le canton de Berne, et trois décès. Mais à l’heure où ces lignes sont écrites, le pic de l’épidémie n’est pas encore atteint. «Nous ne sommes qu’au début de la vague. Le pic devrait être atteint à tout moment entre le 23 mars et le 8 avril», indique Gundekar J. Giebel, chef de la communication à la Direction de la santé du canton de Berne. «Par déduction mathématique, le nombre de cas sera alors multiplié par 8», ajoute le porte-parole.
Peu de malades se trouvent actuellement aux soins intensifs à l’Hôpital de l’Île à Berne. « Mais l’Inselspital est prêt à accueillir beaucoup de patients dans les semaines à venir», précise Gundekar J. Giebel.